Philippe Piat : « Sans véritable dialogue social, point de salut! »

Posté le 08.11.2016 à 17h24

L’intégralité du discours de Philippe Piat, président de la FIFPro, ce mardi à San José, Costa-Rica, en ouverture du Congrès annuel du syndicat international.

«Il y a un peu moins d’un an, nous fêtions tous ensemble, avec faste, le cinquantième anniversaire de la FIFPro, cette organisation dont nous pouvons, dont nous devons, tous, être fiers.

Il y a un peu moins d’un an, nous avions une pensée pour nos anciens, nos pères fondateurs, ces quelques visionnaires qui avaient compris, avant l’heure et avant les autres, que le combat pour la dignité des footballeurs, pour la défense de leurs droits et de leurs intérêts, n’avait plus rien à faire des frontières.

Même si l’Europe avait déjà alors décidée de s’unir autour d’un marché commun, on ne parlait pas encore de globalisation ou de mondialisation, et il fallait savoir lire l’évolution de la société industrielle et celle de notre monde pour appréhender le phénomène naissant et comprendre le caractère inexorable des changements ici à peine en cours, là encore du domaine de la simple prédiction.

Il m’est impossible de me présenter aujourd’hui devant vous sans vous rappeler ce que nous devons, tous, à Roger Blanpain, qui fut non seulement l’un de ces visionnaires et le premier président de la FIFPro, mais aussi, mais surtout, un homme de convictions, habité d’une foi communicative, nourrie par des idées à l’épreuve du temps.

Il aimait le football et les footballeurs, et voulait que justice leur soit rendue. Il n’a cessé de se battre pour qu’on reconnaisse l’homme et le salarié derrière le joueur, sans jamais oublié que la réussite, insolente parfois, de quelques-uns, n’était que l’arbre cachant les difficultés du plus grand nombre, comme l’actualité nous le rappelle si cruellement aujourd’hui, au Gabon, au Zimbabwe, en Argentine, en Roumanie, et ailleurs.

Nous portons tous en nous quelque chose de ce grand homme, qui s’en est dernièrement allé. Roger était un phare, c’était un maître.

Il y a un peu plus de vingt ans, lorsque nous avons fait sa connaissance, David Mayébi se considérait, lui, comme un élève, bien décidé à apprendre pour donner aux footballeurs de son pays, le Cameroun, le statut dont nous, Européens, étions déjà si fiers d’avoir arraché à nos dirigeants. David savait-il, lui aussi, qu’il s’inscrirait dans le sens de l’histoire, qu’il bâtirait un syndicat aux murs aussi solides que ceux du siège sorti de terre dans la grande banlieue de Douala, et qu’il serait le premier représentant africain membre du board de la FIFPro ?

Sans doute…

Quelque chose me dit d’ailleurs que Roger et David, comme beaucoup de nos anciens, comme beaucoup d’entre nous et comme l’avait écrit Oscar Wilde, savaient que « La sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit. »

Nous rendrons un peu plus tard, à Roger et à David, l’hommage qu’ils méritent. Mais je voudrais, ici et devant vous, dire que si nous devons continuer à nous inspirer du professeur Blampain pour porter ses idées et honorer sa mémoire, je sais que Geremi Njitap, le tout nouveau président du Synafoc, saura honorer celle de David Mayébi et continuer le combat pour les footballeurs camerounais et, par delà, pour tous les Africains.

Car le combat continue. Plus que jamais, même ! L’année dernière, nous évoquions ensemble la crise qui s’était emparée de la Fifa, sur fond de corruption. C’était l’heure du grand ménage sur l’air du « plus jamais ça ».

Depuis, un nouveau président a été élu, qui souhaite visiblement écarter les acteurs que nous sommes du processus décisionnel, qui semblait, un temps, nous être pourtant promis. Pis même. Il chercherait à affaiblir notre position…

Aurait-il peur de ce que nous sommes, à la FIFPro, de ceux que nous représentons, des idées qui ont toujours été les nôtres, des valeurs qui nous unissent ?

N’a-t-il pas compris que les 65 000 footballeurs issus de 68 unions qui forment notre syndicat international ne veulent pas être seulement entendus, mais écoutés ?

Comprend-il qu’il n’est plus possible de nous enfermer sur le terrain, quand nous voulons être assis à la même table que les dirigeants pour porter la voix de nos adhérents, défendre nos idées qui sont aussi les leurs ?

Sait-il que sans véritable dialogue social, il n’est point de salut ?

Veut-il, comme nous, travailler pour l’intérêt général, pour le football, ce qui nous a poussé à porter plainte, comme il n’est plus besoin de vous le rappeler, contre le système des transferts ?

Pense-t-il, sérieusement, que quelques promesses suffiront à nous satisfaire au point de retirer ladite plainte comme s’il n’avait pas réellement mesuré la portée de notre action ?

Nous n’avons jamais voulu intervenir dans les affaires de la Fifa. Nous avons même, pendant les différentes crises traversées par la Fédération internationale, continué à dialoguer car nous savons que les hommes passent mais que les institutions, elles, demeurent.

Nous n’avons pas changé, nous voulons discuter, avancer, comme vous le faites, ou essayer de le faire, au niveau national, ou comme nos quatre divisions, qui ont, dès leur création, cherché à créer un lien avec leur confédération respective.

Mais je sais, comme vous le savez, que l’exemple vient d’en haut. Tant que la Fifa et les confédérations refuseront que nous puissions siéger au sein de leur comité exécutif, elles donneront aux fédérations les raisons de ne pas vous donner la place qui vous revient de droit et que vous devez tous, malgré tout, continuer à réclamer.

Certains d’entre vous ont arraché ce droit de haute lutte, et c’est tout à votre honneur et, parfois aussi, à celui de dirigeants qui ont compris qu’exclure les principaux acteurs ne pouvait, in fine, que les desservir. Mais beaucoup de nos camarades continuent de frapper à la porte, qui reste fermée comme elle fut pour la FIFPro jusqu’au tournant des années 2000, et comme elle semble bien aujourd’hui, malgré les changements, s’être refermée devant nous.

Philippe Piat17

Est-il besoin de vous dire, ici, que nous n’abandonnerons pas ? Parce que notre cause est juste. Parce que la FIFPro se doit d’être fidèle à elle-même, parce qu’elle a le soutien de ses membres, et qu’elle se doit, en retour, de leur donner toujours plus, parce que les joueurs – en dehors de quelques stars sur le retour – ne sont pas dupes, parce qu’ils nous connaissent, parce que nous n’avançons pas masqués puisque la transparence, comme la solidarité, est inscrite dans notre ADN, alors que beaucoup aujourd’hui continuent de se perdre dans les méandres d’un pouvoir, qui cherche à diviser quand il devrait agir pour rassembler.

Il est temps que naisse un nouveau football professionnel, plus juste. Mais il ne doit pas éclore seulement dans quelques pays d’Europe, qui cherchent encore à étendre leur pouvoir hégémonique en affaiblissant les capacités financières de ceux qui, déjà, ne sont invités qu’à se partager les miettes du festin.

Ce nouveau football professionnel doit être mondial ou ne sera pas. Il doit intégrer le joueur et les représentants que nous sommes comme parties intégrantes d’un écosystème, qui tire toute sa puissance des exploits réalisés sur le terrain.

Pas dans les tribunes !

Pas dans les alcôves !

Ce sont bien les footballeurs eux-mêmes qui créent cette incroyable richesse en se donnant en spectacle, en donnant du plaisir. Mais il ne faut pas croire que ce rôle, prépondérant, que les salaires, mirobolants ou ridicules quand ils sont versés, leur suffisent.

Ils veulent participer, ils veulent qu’on les respecte, ils veulent que leur statut de salarié soit reconnu (quand il ne l’est pas encore), maintenu (pour si peu d’entre eux), défendu, quand il est, comme c’est souvent les cas, attaqué.

Pour un Messi ou un Ronaldo, combien de joueurs sans le sou et sans avenir ? C’est pourtant le même métier, difficile, contraignant, usant. Que certains soient plus talentueux ou chanceux que d’autres, bien sûr, mais il ne faut mesurer le statut, le salaire ou les droits de l’ensemble des footballeurs à l’aune de quelques-uns seulement, devenues stars.

Si peu, finalement, au regard des 65 000 joueurs qui nous font confiance.

L’étude réalisée par la FIFPro sur les conditions de travail de vos adhérents, la première à donner la parole à l’ensemble des joueurs dans le monde, apportera la preuve irréfutable de ce que nous répétons depuis de si longues années après que 15 000 footballeurs ont accepté de témoigner.

Il y a, nous le savions déjà, de telles différences entre le traitement offert à certains – je ne parle pas ici d’argent, mais de droits, de reconnaissance, voire du plus simple respect – et le sentiment d’abandon ressenti par la plus grande majorité, qui se raccroche à leur union nationale, comme un naufragé à une bouée de secours.

Après la parution de cette formidable étude, on pourra continuer à nous rire au nez, mais cela dépendra de quel rire !

C’est pourquoi votre rôle est primordial. C’est pourquoi nous avons besoin, partout, du soutien des plus grands joueurs et de l’adhésion de l’ensemble des footballeurs.

C’est pourquoi nous ne pouvons nous satisfaire, je le répète, de quelques promesses.

Nous voulons, comme nous le disions dans la campagne que vous avez relayée sur vos réseaux sociaux, que le jeu change, que le football évolue, qu’il soit enfin débarrassé de tout ce qui le pollue et l’affaiblit, qu’il soit libéré du système des transferts, qu’il regarde devant lui, qu’il soit fier de nourrir correctement, régulièrement, ses serviteurs et leurs familles, fier de leur offrir une formation et un avenir, fier que les générations à venir ne connaissent pas des mots comme racisme, discrimination, mise à l’écart, précarité, pressions et menaces, salaires impayés, corruption…

Ce football-là, nous l’avons rêvé. Nous le rêvons toujours. Ce rêve est grand, que nous poursuivons, que vous poursuivez tous, chacun dans votre pays.

Un jour, peut-être, nous l’aurons perdu de vue, mais seulement lorsque nous l’aurons réalisé.

Et pas avant ! »

 

french's delegation

David Terrier, Philippe Piat et Stéphane Burchklater, la délégation de l’UNFP au Congrès de la FIFPro

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