Philippe Piat : « Il en allait de la survie du football professionnel ! »

Posté le 10.11.2017 à 12h01

Lundi dernier, la FIFPro et la Fifa ont signé un accord pour les six prochaines années, afin de renforcer la coopération entre les deux organisations ainsi que d’améliorer la gouvernance du football professionnel partout dans le monde. Fruit d’une négociation entamée il y a dix-huit mois déjà, entre la Fédération internationale et les principales parties prenantes du football, cet accord – historique, le mot n’est nullement galvaudé -, va modifier en profondeur le quotidien de dizaine de milliers de footballeurs. Décryptage par Philippe Piat, président de la FIFPro et coprésident de l’UNFP.

Philippe, comment cet accord s’est-il noué ?

Il  trouve son origine dans la nécessaire réforme du système des transferts, pour laquelle je milite, avec la FIFPro, depuis plus de dix ans maintenant. Nous assistons, avec impuissance, à une dérégulation totale et constante de ce système, à une inflation exponentielle des montants des transferts, qui profite à une minorité, provoque des dégâts colossaux pour les joueurs et restreint in fine considérablement la liberté de comportement des clubs et de circulation des footballeurs.
Face à l’indifférence de la Fifa devant nos multiples sollicitations pour mettre fin à ces pratiques intolérables, nous n’avons pas eu d’autre choix que de déposer une plainte devant la Commission Européenne en septembre 2015 pour stopper la machine infernale.

Cette plainte a été un élément déclencheur…

Un élément essentiel, oui, car la Fifa et les autres parties prenantes ont alors réellement pris conscience de ce que nous dénoncions depuis des années.

« LA FIN DES SALAIRES IMPAYES »

Et vint l’été 2017…

Le transfert de Neymar et les montants astronomiques dépensés pour tant d’autres mouvements de joueurs ont encore accéléré le processus, qui a permis de faire changer les mentalités et de rapprocher la Fifa des thèses que nous portions depuis si longtemps. Le monde entier a touché du doigt les excès d’un système dépassé, les anormalités et les dérives qu’il engendrait. Nous nous sommes alors à nouveau assis autour de la table et avons renoué les échanges avec la Fifa, et son président. Et c’est ainsi que, lors des dix-huit mois d’intenses et de riches négociations, notre voix a porté toujours plus haut et toujours plus fort, car nos mots résonnaient du poids des preuves que nous avions apportées et des dérives partout dénoncées…

PHILIPPE FIFA 3

Vous qualifiez d’historique cet accord signé avec la FIFA, mais en quoi est-il si bon pour le football et que va-t-il améliorer pour les joueurs ?

Ce nouvel accord est historique car il va nous permettre de réformer en profondeur ce système. Nous avons d’ores et déjà fait voter des dispositions mettant fin aux nombreux salaires impayés des footballeurs dans le monde entier, et qui permettent une accélération des procédures, l’enfoncement des décisions d’arbitrage et d’implanter des chambres des litiges national dans les pays de football professionnel

C’est-à-dire ?

Souvenons-nous des derniers résultats de l’étude réalisée l’année passée par la FIFPro auprès de 14000 footballeurs qui ont révélé que près de 41% des joueurs dans le monde ne recevaient pas leur salaire à temps. C’est une situation inacceptable !
Il était nécessaire d’améliorer les conditions pour que les joueurs puissent défendre leurs droits et être libre de trouver un nouveau club, sans que l’ancien club
ne puisse lui réclamer une indemnité de transfert. Auparavant, il devait patienter plusieurs mois, voire plusieurs années, pour qu’une décision soit prononcée, récupérer les salaires dus et retrouver un nouvel employeur. C’est une avancée majeure, mais il nous reste de nombreux autres points sur lesquels nous accorder.

Un certain nombre d’autres réformes sont en négociation sur des thèmes majeurs tels que la rémunération et le rôle des agents, les prêts de joueurs, la limitation des effectifs, les calendriers, les indemnités de formation, les transferts des mineurs ou encore les aménagements des périodes de transfert.

Gianni Infantino rejoint donc  le constat vous avez réalisé depuis plusieurs années maintenant sur la dérégulation constante et croissante du système des transferts… 

Effectivement, nous nous sommes rencontrés à de multiples reprises. Nos positions sont finalement très proches à la fois sur les maux qui menacent le football professionnel, mais aussi sur les réformes urgentes à mettre en place pour éviter que la bulle financière, que l’ensemble de l’écosystème du football déplore, n’éclate, avec toutes les conséquences dramatiques que l’on peut imaginer. Nous nous devions de réaliser une union sacrée pour empêcher le cataclysme annoncé de se produire et pour préserver l’intérêt du football dans sa globalité et non dans un esprit partisan. Nous avons également fait le constat que l’immense majorité des transferts donnaient lieu à des irrégularités, voire à des malversations pouvant entraîner des poursuites pénales. Gianni Infantino a entamé un important travail de réhabilitation de la Fifa depuis son élection. J’ai rencontré un homme ouvert, qui a entendu la voix des joueurs en repositionnant la condition du footballeur au centre des débats.

« faire face aux nouveaux défis du football professionnel »

Quid de la plainte FIFPro ?

Devant le nouvel esprit de coopération affiché par la Fifa, sa volonté de placer enfin les préoccupations des joueurs au cœur du processus et son engagement ferme, nous allons retirer notre plainte.

Philippe, il est important de préciser que la FIFPro a réussi, avec cet accord, à rassembler les positions de l’ensemble des acteurs (FIFA, FIFPRO, ECA et EPFL) sur ces grandes évolutions et à provoquer des discussions de fond pour aboutir à un certain nombre de réformes structurelles pour l’avenir de notre football…

La FIFPro, de par son travail, sa présence permanente et la pertinence de ses analyses, a fini par rallier à sa cause toutes les parties prenantes du monde du football, que ce soit la FIFA, l’UEFA, les associations de clubs ou de ligues. Il en allait, et je pèse mes mots, de la survie du football professionnel, de revenir à des situations d’équilibre, qui n’existent plus aujourd’hui. Il nous faut désormais tout faire pour empêcher les positions dominantes et les concurrences déloyales, cultivées à l’envi et avec une totale impunité par des minorités, qui se servent du football et desservent l’intérêt général.

Ce que la FIFPro a réussi dans le monde, l’UNFP, où vous partagez la présidence avec Sylvain Kastendeuch, peut-elle le réussir au niveau français ?

Elle le doit à ses adhérents et au football de notre pays. L’UNFP a déjà jeté les bases, pour cela, d’un dialogue constructif, en se plaçant comme force de proposition et en travaillant avec toutes les composantes du football français, dans un modèle gagnant-gagnant, pour défendre l’intérêt général et pour faire face aux nouveaux défis du football professionnel. C’est cet état d’esprit qui nous anime au sein de l’UNFP quand nous parlons d’être « tous unis pour un football plus juste ». Ce serait une très belle avancée pour le football et les footballeurs.»

 

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