Piat-Tchale-Watchou : « Ça ne se passera pas comme ça ! »

Posté le 21.06.2018 à 16h59

Au lendemain du cri d’alarme de Sylvain Kastendeuch, le président de la Fnass, Philippe Piat, le président de l’UNFP, et Robins Tchale-Watchou, le président de Provale, enfoncent le clou devant un amendement scandaleux, qui légitime le football business en impactant l’ensemble du sport professionnel en France. Les deux présidents, d’une même voix, préviennent que si les sportifs ne sont pas entendus, que si l’amendement n’est pas retiré, ils envisagent toutes les actions possibles avec le soutien franc et massif de leurs adhérents.

 

« Avant d’enter dans le vif du sujet, il semble que vous soyez tombés des nues en apprenant le vote de cet amendement qui prolonge de trois à cinq ans le premier contrat d’un sportif professionnel…

Philippe Piat (PP) : C’est un doux euphémisme ! Il est de tradition démocratique, si j’ose dire, que s’engagent des discussions avec l’ensemble des partenaires sociaux dans le cadre de n’importe quel projet de loi qui impacte directement les salariés d’une branche. C’est la volonté affichée, affirmée par Emmanuel Macron, le président de la République. Or, en l’occurrence, nous n’avons jamais été approchés dans le cadre de cette loi sur la formation professionnelle. Pis même, comme l’a rappelé Sylvain Kastendeuch en sa qualité de président de la Fnass, les députés qui ont porté cet amendement et qu’il a rencontrés en début de mois, n’ont rien dit de leurs intentions. C’est dire leur niveau de considération envers les partenaires sociaux et combien ils sont rétifs au dialogue social. Pour moi, c’est plus que du mépris !

 Robins Tchale-Watchou (RTW) : Du mépris, c’est sûr, et la preuve qu’en politique le lobbying écrase tout !

 

Robins Tchale-Watchou

Robins Tchale-Watchou

 

C’est-à-dire ?

 RTW : Philippe ne me contredira pas, mais il est évident que cet amendement a été soufflé aux oreilles des députés par ceux qui font la… loi dans le football professionnel. Quelques clubs, pas plus, qui ont organisé en cachette cette mascarade en faisant croire aux députés que leurs intérêts primaient sur le reste, qu’il s’agissait de protéger les jeunes footballeurs en les forçant à s’engager pour une durée de cinq ans. Et les députés n’ont pas cherché plus loin, aussi étrange que cela puisse paraître. Ils n’ont pas pensé une seule seconde que le football professionnel français, ce n’est pas LE SPORT PROFESSIONNEL FRANÇAIS. Pourquoi alors auraient-ils eu besoin de discuter avec des représentants de chaque sport ? Pourquoi, puisqu’on leur a fait croire qu’ils agissaient pour la bonne cause et pour l’avenir du football, pardon, du sport en France, auraient-ils souhaité rencontrer les partenaires sociaux ?

PP : Comme cela s’est passé avec certains articles de la dernière loi sur le sport, il ne m’étonnerait pas que l’on ait dit aux députés que les partenaires sociaux étaient favorables à la prolongation du premier contrat professionnel, alors même que nous nous y sommes toujours opposés avec force et détermination, d’autant que nos adhérents nous le demandent. Il n’est pas besoin de mener une enquête pour comprendre, Robins a raison, que le coup a été monté par quelques dirigeants du football professionnel, et par eux seulement : ils l’ont fait dans le dos des autres clubs, de la LFP, de la FFF, et, bien sûr, de l’UNFP.
Philippe, voilà plusieurs mois pourtant, que l’UNFP a engagé des discussions avec les clubs employeurs pour une refonte totale de la Charte du football professionnel…

 PP (Il coupe.) Qui a valeur de convention collective, il ne faut pas l’oublier ! C’est l’UNFP, comme toujours ouverte au dialogue, qui a initié ce travail sur la Charte, dans un esprit gagnant/gagnant et pour l’intérêt supérieur du football professionnel en France. Alors qu’ils jouaient la montre, comme l’on dit chez nous, qu’ils refusaient d’engager les discussions sur des avancées importantes, ils négociaient en douce avec certains députés, galvaudant par la même le dialogue social, faisant passer leurs idées en force, sans notre accord, sans même évoquer le sujet avec nous, sans même chercher à ce qu’un compromis puisse être trouvé. C’est pitoyable, d’autant plus qu’avec la complicité des députés, et leur méconnaissance abyssale des réalités du sport professionnel en France, ils envoient un message inquiétant à tous ceux qui ont toujours cru à la démocratie : les puissants peuvent tout, contrôlent tout, ne négocient rien puisqu’ils imposent ce qu’ils veulent ! Il y a de quoi être déconcerté, écoeuré même, mais les sportifs que nous sommes ne s’avouent jamais vaincus ! Ça ne se passera pas comme ça !

RTW : Philippe a raison, pas question de dégager en touche ! Il faudra que les députés nous expliquent pourquoi et comment ils ont pu de la sorte envisager une modification du Code du sport, via une loi sur la formation professionnelle, avec un tel impact sur l’économie des disciplines sportives et de tels bouleversements sociaux sur une catégorie de salariés, les jeunes joueurs, en limitant leurs libertés contractuelle et de circulation sans prendre soin d’entendre les sportifs et leurs représentants ? C’est inadmissible !

Alors qu’allez-vous faire ?

Philippe Piat, coprésident de l'UNFP.

Philippe Piat, coprésident de l’UNFP.

 

PP : Avant de savoir ce que nous allons faire si les choses restent en l’état, ce que nous ne pouvons pas imaginer, je tiens à m’adresser à nos députés afin qu’ils comprennent bien qu’ils n’ont pas voté un amendement pour l’ensemble du sport professionnel français. Et porter pour cela à leur connaissance, puisque beaucoup sont nouveaux dans l’hémicycle, qu’ils ont reproduit les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs avec le droit à l’image, en étant instrumentalisés par les mêmes personnes qu’eux, dont ils défendent les intérêts particuliers sans s’en rendre compte, même si j’ai du mal à le croire au regard de la manière employée. Comme nous l’avions affirmé, la loi sur le droit à l’image n’avait été imaginée, elle aussi, que via le prisme du football. Elle était inadaptée et inapplicable à l’ensemble du sport professionnel français, nous le savions, nous l’avons dit haut et fort et nous… attendons toujours que le décret soit publié !

RTW : Il serait temps, en France, que l’on prenne les sportifs et leurs représentants au sérieux. Qu’on les écoute et qu’on les entende ! Nos différents syndicats et associations de joueurs, qui font le plein d’adhérents, n’ont pas vocation à s’opposer systématiquement, mais nous voulons, au contraire, participer, proposer, négocier au nom des sportifs que nous représentons. Nous ne parlons pas, nous ne dénonçons pas à la légère et d’ailleurs, comme Philippe vient de le rappeler, nous avons raison la plupart du temps.

 

En quoi avez-vous raison dans ce cas précis ?

PP : Dans chacune des disciplines, le processus de formation est déjà strictement encadré. Dans le football particulièrement, la force de la formation française et sa réussite tiennent essentiellement dans l’enchaînement des contrats prévu dans la Charte (aspirant : deux ou trois ans entre 15 et 18 ans ; stagiaire : deux ou trois ans également entre 17-18 ans et 20 ans) et dans la première expérience professionnelle de trois ans.

RTW : Chez nous, les joueurs sont en formation jusqu’à l’âge de 22 ou 23 ans. Leur faire signer un premier contrat pro de cinq ans, c’est tout bonnement inconcevable. Mais les députés n’en ont pas tenu compte, parce qu’ils ne connaissaient cette particularité propre au rugby.

PP : Comme on ne leur a pas dit, évidemment, que tout départ est rendu presque impossible pour le footballeur en formation, dont la liberté de circulation est rendue à néant ou presque devant les indemnités de formation considérables (plus de 90 000 euros par année de formation). En prolongeant de deux années le premier contrat pro, un jeune joueur pourrait être bloqué dix ans dans un même club avec une capacité de négociation salariale quasiment nulle ! Ce qui permet aux clubs de payer un gamin 2000 euros par mois et de le vendre plusieurs millions d’euros !

RTW : Demande-t-on au médecin qui a obtenu son diplôme à l’Université de Toulouse d’ouvrir son cabinet en Haute-Garonne seulement ? Demande-t-on au coiffeur qui a obtenu son CAP après une formation en alternance de rester dix ans dans le salon où il a appris son métier ? Non, rien ne leur est imposé et ils peuvent, de surcroît, pratiquer pendant quarante ans, quand la carrière d’un sportif est limitée par la force des choses.

 

Ne faudrait-il pas alors introduire dans le sport une clause de dédit formation comme cela est prévu dans les grandes écoles publiques ?

PP : C’est ce que nous demandons et ce que les clubs refusent même d’aborder. Les jeunes joueurs auraient alors la possibilité d’être véritablement acteurs de leur carrière. A défaut de faire application de l’arrêt Bernard, notre convention collective ne fait référence qu’aux indemnités de formation mises en place par la Fifa, qui ne sont pas négociées et d’un montant dissuasif. Si dissuasif que même la Fédération internationale en a pris conscience et a donc limité la durée des contrats signés par les mineurs à trois saisons sportives pour ne pas porter, de manière inconsidérée, atteinte à leur liberté de circulation. Nos députés savent-ils cela ? Je suis persuadé qu’ils n’en ont pas la moindre idée !

RTW : Les députés légitiment un système illégal de vente d’êtres humains que notre pays, la France, ne peut pas cautionner dans ses lois… Aucune autre nation en Europe ne l’a fait, peut-être parce que ceux qui font les lois là-bas connaissent la directive européenne de 1999 (1), qui donne aux partenaires sociaux le droit de définir le cadre et la durée des CDD !

PP : Et tout cela pourquoi ? Pour la protection des jeunes footballeurs ? Pour une meilleure formation ? Pour éviter à nos clubs d’être pillés comme l’a déclaré avec une naïveté confondante Stéphane Testé, l’un des députés à l’origine de cet amendement ? Mais non, soyons sérieux et rétablissons la vérité cachée par les clubs de football aux députés justement : c’est du business et rien d’autre ! Seule la vente des joueurs les intéressent ! Aucunement leur avenir, leur formation scolaire ou leur épanouissement en tant qu’homme ! Ils veulent juste maîtriser le moment où ils pourront vendre le jeune joueur comme ils le souhaitent, aux conditions qu’ils auront choisies sans tenir compte, justement, de l’avenir du principal intéressé, qui n’aura pas son mot à dire !

 

C’est leur donner encore plus de pouvoir !

PP : Effectivement, alors qu’ils en usent et abusent déjà ! A l’UNFP, nous sommes régulièrement alertés désormais par des parents consternés par les rapports instaurés par les clubs dans les centres de formation, dans l’unique but de forcer la main des jeunes à signer leur contrat, quitte à utiliser tous les moyens possibles. Parfois, jusqu’à la violence… Et il faudrait croire que c’est dans l’intérêt du jeune ? Ben voyons… J’appelle d’ailleurs tous ces parents à se manifester auprès de leurs élus et de l’UNFP pour dire comment les clubs se comportent ! Qu’ils prennent la parole ou la plume pour dénoncer haut et fort ces pratiques scandaleuses, qui sont aujourd’hui devenues monnaie-courantes !
Ce qui nous ramène à la question : qu’allez-vous faire maintenant ?

PP et RTW : Nous en appelons au gouvernement, via les ministères des Sports et du Travail, pour que l’amendement soit retiré devant le Sénat. Et dans chaque discipline, comme Sylvain Kastendeuch l’a dit hier, nous allons utiliser tous les moyens pour contester constitutionnellement en France et au niveau européen, ce dispositif honteux et scandaleux !!

Tous les moyens ?

PP et RTW : Aller, pour que la raison l’emporte, jusqu’à envisager un mouvement de grève de grande ampleur dans tous les sports collectifs ! Nous savons que nos adhérents, qui ont pris conscience du sale coup qu’on leur joue, sont déjà mobilisés et qu’ils veulent faire triompher leur bon droit, leurs droits de salariés ! »

 

(1) Directive 99/70 sur le travail à durée déterminée

 

 

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