Sylvain Kastendeuch: « Ne tuez pas le foot! »

Posté le 31.12.2016 à 04h21

Trop, c’est trop ! Début décembre, l’UNFP a décidé de mener une campagne contre la violence et d’entraîner avec elle tout le football professionnel français. L’interview de Sylvain Kastendeuch, notre coprésident, a mobilisé tous ceux qui veulent croire à une football sans violence…

Ce week-end, l’UNFP a décidé de mobiliser le football français contre la violence et son appel a été entendu. Car si les joueurs sont, aujourd’hui, les seuls à souffrir d’actes irresponsables et lâches, c’est tout le football français qui est pris en otage. La situation est grave, le ton de Sylvain Kastendeuch, coprésident de l’UNFP, l’est aussi…

« Par trois fois, cette saison, l’UNFP s’est insurgée contre la violence…

Quitte à nous attirer parfois les foudres de certains, nous avons réagi avec fermeté dès que l’intégrité d’un joueur a été menacée, ces derniers mois. Se révolter ainsi, c’est notre devoir, notre responsabilité. Nous avons apprécié que nos messages soient entendus et repris, y compris par les supporters…

Qui sont aujourd’hui montrés du doigt…

Injustement, à cause de gestes isolés de pleutres qui se servent de la médiatisation du football pour véhiculer leur message de haine ou, qui, plus simplement, n’ont pas conscience de la portée de leurs actes. Réagir, c’est bien, c’était nécessaire, mais agir, c’est mieux ! Nous aurions pu, alors, mener seul ce combat contre la violence au nom de tous les joueurs. Mais il nous est vite apparu évident, si nous voulions être réellement efficaces face à ce phénomène inquiétant, qu’il nous fallait solliciter l’ensemble du monde du football professionnel. Et je dois reconnaître que toutes les parties concernées, à commencer par la LFP, n’ont pas hésité à se joindre à nous, à porter nos messages comme les joueurs ont accepté de porter nos t-shirt et vont relayer notre campagne sur les réseaux sociaux. Au nom de l’UNFP, je tiens à les en remercier.

C’est une première victoire…

C’est une première étape, plutôt. Cela signifie que tout le monde a pris conscience du besoin impérieux d’agir car notre sport, le football, est en danger. C’est ensemble qu’il nous faut agir et le plus vite possible ! J’espère que notre campagne aura la portée qu’elle mérite, et j’encourage tous ceux qui souhaitent dire non à la violence à se l’approprier, à la relayer, à porter nos messages, volontairement forts et résolument mobilisateurs. L’UNFP a juste agi comme un déclencheur, mais c’est à l’ensemble de notre football, maintenant, de s’unir pour qu’à l’avenir il n’y ait plus de tels actes à regretter.

 

REUNION UNFP

 

Votre réponse à trois actes isolés, justement, n’est-elle pas démesurée ?

Ce ne sont que trois gestes lâches et que trois joueurs touchés, oui bien sûr, on peut voir les choses ainsi et cela peut paraître alors insignifiant au regard du nombre de rencontres jouées depuis le début de saison, mais c’est déjà trois de trop ! Et combien d’autres demain si nous ne faisons rien ? Oui, combien ? A partir de quel moment est-on autorisé à dire que cela suffit ? Faut-il attendre qu’il y ait un blessé grave pour agir ? Comme la mauvaise herbe, la violence se répand plus vite qu’on ne pourrait l’imaginer, mais au-delà, il faut comprendre que comme Lucas, comme Leca et comme Lopes, nous sommes tous les victimes de cette violence gratuite, que l’on ne veut pas voir devenir ordinaire.

Tous ?

Tous, oui, et la mobilisation suscitée par notre action en apporte la preuve, s’il en était besoin ! C’est comme si tous les amoureux du football, tous les passionnés, qu’ils soient sur le terrain ou dans les tribunes, avaient été frappés en même temps que les trois joueurs. Chaque agression atteint chacun de nous parce qu’elle participe à tuer notre rêve, à tuer le football. Il ne suffit donc pas que notre monde nous renvoie, chaque jour, des images toujours plus horribles, il ne suffit pas que les guerres continuent, que des gens meurent, que d’autres souffrent, il faut encore que cette violence s’invite impunément dans nos stades. Un stade, ce n’est pas un champ de bataille, un terrain, c’est une scène de spectacle, ce n’est pas une scène de crime. C’est un havre de paix où l’on se réunit pour fêter le jeu de football. Ceux qui prétendent que le football c’est la guerre, ceux qui attisent la haine de l’autre, de l’adversaire, n’ont rien compris à notre sport, oublient son rôle social, éducatif. Ils oublient que sa mission première est de rassembler parce qu’il se moque de la couleur de la peau, des croyances, du statut social, du sexe et de l’âge… Le football, c’est aussi du plaisir partagé. La violence, elle, isole. On peut aimer et supporter l’un, sans détester et vouloir attenter à l’intégrité physique de l’autre. Rien ne saurait justifier, au nom du football que la violence s’invite ainsi dans un stade. Rien ne justifie que le joueur devienne une cible !

Une cible pour trois énergumènes…

(Il coupe.) Mais il n’empêche, nous voilà tous pris en otage, aujourd’hui. Les joueurs, bien sûr, mais aussi les entraîneurs, les staffs, les arbitres, les dirigeants et même les supporters eux-mêmes, au moment où ils avaient appelé au dialogue. Ils sont partie intégrante du jeu, ils participent au spectacle, qui pourrait le nier ? Imaginez, demain, des stades vides, alors que le football français cherche, en ce domaine, à combler son retard sur les autres grandes nations, maintenant que nous disposons d’un plus grand nombre d’enceintes modernes, accueillantes et sécurisées grâce à l’Euro. Imaginez que la violence s’empare également des tribunes, justement parce qu’un joueur aura été, une fois encore, touché. N’aurions-nous donc rien retenu de l’histoire ? Qui se souvient des années 80, des morts et de l’horreur devenue quotidienne, ordinaire, doit se lever avec l’UNFP et tous ceux qui nous ont rejoint pour faire barrage à la violence !

Que faut-il faire justement ?

Se montrer inflexibles avec les fauteurs de trouble, c’est la première chose, tout en prenant garde à ne pas généraliser : les supporters, les vrais supporters, n’ont pas à payer pour des actes isolés qu’ils dénoncent eux-aussi avec force. Comme nous le disions dans un de nos communiqués, il ne suffit plus, même si cela est primordial, de penser que l’on règlera la sécurité dans les stades à grands coups de renfort de police, de barrages, de portiques, de fouilles et de stewards. Il faut éduquer, dialoguer. Il faut que chacun de nous prenne conscience que certaines déclarations, prononcées à chaud, peuvent être interprétées au premier degré. Il faut en finir avec tous les termes guerriers que l’on utilise dans le football sans en mesurer leur portée et la presse doit ici jouer le rôle qui est le sien, comme le font d’ailleurs désormais un grand nombre de journalistes… Faire le buzz dix minutes sur le net vaut-il que l’on s’en prenne à un joueur ou à un club ? N’y-a-t-il pas, sérieusement, d’autres façons de motiver son équipe, de mobiliser ses supporters ? C’est pourquoi notre démarche doit être portée par tous. Nous sommes tous concernés par la violence, nous devons donc agir, tous ensemble, pour l’éradiquer avant qu’il ne soit trop tard ! »

Recueillis par Stéphane Saint-Raymond

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