Philippe Piat:« S’il faut aller jusqu’à la grève…»

Posté le 10.07.2018 à 11h40

Voilà deux semaines désormais que l’ensemble des représentants des sportifs professionnels, réunis au sein de la Fnass, fait corps contre l’amendement qui prolonge de trois à cinq ans la premier contrat des sportifs, avec d’autant plus de détermination et de force que leurs adhérents s’expriment également en faveur de son retrait. Philippe Piat se fait ici le porte-parole des uns et des autres : puisque le dialogue, engagé à tous les niveaux qu’ils soient politiques et sportifs, ne porte pas encore ses fruits malgré quelques promesses, le coprésident de l’UNFP – avec tous les autres membres de la FNASS (rugby, handball, basket et cyclisme) – prévient: le grand mouvement de contestation lors du week-end du 21 au 23 septembre prochain pourrait prendre la forme d’une grève.

 

« Philippe, la tension ne retombe pas…

Et pourquoi retomberait-elle ? Nous avons eu beau – je parle ici de l’ensemble des membres de la Fnass – multiplier les rendez-vous, que ce soit avec les différents ministères concernés, les responsables politiques ou les dirigeants de nos sports respectifs, nous avons eu beau expliquer, argumenter, que ce soit sur la forme et sur le fond, sans que rien n’ait évolué aujourd’hui encore. Nous avons vu, sans en être surpris le moins du monde car nous connaissons leur engagement et leur compréhension des différentes problématiques liées à leur métier, la mobilisation de nos adhérents, qui s’est faite naturellement devant le procédé utilisé et parce qu’ils ont compris que les retombées seraient désastreuses pour leur courte carrière professionnelle.

Il n’est pas possible, visiblement, de différencier la forme du fond…

Parce que le procédé est déloyal, et qu’il témoigne du peu de respect dans lequel les politiques et nos employeurs tiennent les partenaires sociaux et ceux que nous représentons. Cela s’inscrit, qui plus est, à contre-courant de la volonté, clairement affichée par le président de la République, de renvoyer au dialogue social à l’intérieur des différentes branches. Pourquoi saborder ainsi le dialogue social, pourquoi le vider ainsi de tout son sens ? Comment des hommes politiques responsables peuvent-ils en arriver là ? Je veux bien croire au lobbying des employeurs, mais la responsabilité des politiques n’est-elle pas de savoir faire la part des choses, de rechercher à comprendre pour ne pas tomber dans le piège tendu par l’esprit fallacieux qui a procédé à la présentation des arguments avancés par les employeurs et alors qu’ils s’étaient pourtant engagés à ne pas faire de tentative de lobbying sans nous associer à la démarche, lors des nos discussions en octobre dernier et aux accords qui s’en suivirent ?

L’amendement que vous combattez n’a de surcroît pas de lien direct avec la loi dans laquelle il figure aujourd’hui…

Et personne d’ailleurs n’a osé nous démontrer le contraire ! C’est une loi sur la formation professionnelle du salarié, son employabilité. Elle a été pensée, écrite pour faciliter sa… mobilité ! Quelle est son lien avec le code du Sport et la durée des contrats de travail ? Durée de contrat qui doit pourtant concerner les partenaires sociaux ? Surtout s’agissant de contrat à durée déterminée qui doit dépendre directement et immuablement de la directive communautaire 99/70 sur les contrats à temps. Cet amendement apparaît bien comme le seul moyen que nos élus ont trouvé, sous la pression des employeurs, pour contourner ouvertement, honteusement, le dialogue social, puisque rien n’était initialement prévu au texte en faisant ainsi la promotion de la vente de joueurs et ainsi légitimer le système des transferts. Mais dans cette volonté de voler au secours du football professionnel français, sans fondement aucun, nos politiques ont oublié que les retombées affecteraient l’ensemble des disciplines sportives professionnelles. Que pourrait-il advenir, si les choses restaient en l’état ? Comment dribbler les partenaires sociaux et les sportifs sur un sujet aussi sensible que la durée du contrat de travail de ces derniers, quand on sait, qui plus est, que le dialogue social n’est pas partout installé, que les conventions collectives sont encore, ici ou là, à l’état de projet, quand projet il y a ?

 

Comment les politiques et les parlementaires peuvent ne pas tenir compte de ces éléments ? De l’Arrêt de la cour de justice de l’UE, Olivier Bernard ? Des règlements de la FIFA qui, bien qu’émanant d’une organisation privée de droit suisse, tiennent compte d’un accord conclu en 2001 avec la FIFPro et la Commission européenne sur le droit des mineurs…

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Le plus incroyable, c’est le mépris dans lequel sont tenus les sportifs et leurs représentants !

Nous sommes quand même les mieux placés pour savoir ce qui est bien ou non pour nos adhérents…Comment peut-on décider à notre place ? Comment peut-on envisager changer la loi sans aucune étude de fond diligentée par le parlement, sans l’accord des partenaires sociaux et surtout des premiers concernés…les sportifs ?

Surtout quand on sait qu’il existe sur le sujet une directive européenne forcément contraignante, qui s’impose aux Etats membres de l’union et qui nécessite une vraie réflexion sur les besoins du secteur pour éviter ainsi tous abus ou dérives…

Comment les politiques et les parlementaires peuvent ne pas tenir compte de ces éléments ? De l’Arrêt de la cour de justice de l’UE, Olivier Bernard ? Des règlements de la FIFA qui, bien qu’émanant d’une organisation privée de droit suisse, tiennent compte d’un accord conclu en 2001 avec la FIFPro et la Commission européenne sur le droit des mineurs…

A l’arrivée, cet amendement « football » s’appliquerait donc à tous les jeunes sportifs professionnels français sauf, donc, aux footballeurs…

(Il coupe.) Oui, et c’est ahurissant ! Ce serait même drôle, si autant de légèreté de la part du législateur n’était pas triste à pleurer. Le règlement de la Fifa est net, précis et contraignant pour chacune des fédérations membres : pas de contrat de plus de trois ans pour les mineurs ! Ce qui signifie que s’il y avait malgré tout un engagement de cinq ans pour un mineur, le joueur serait libre après trois ans et la Fifa serait garante de sa liberté contractuelle à condition qu’il veuille s’engager avec un club étranger… C’est donc un amendement qui va favoriser in fine le départ des jeunes footballeurs au-delà de nos frontières. Il me semble que c’est ce que l’on nous dit vouloir éviter, justement. Ils ont faux sur toute la ligne !

Le sportif professionnel est un salarié comme un autre. C’est le combat de l’UNFP depuis toujours et celui aussi des autres associations et syndicats réunis au sein de la Fnass, mais nos politiques ne semblent toujours pas l’avoir compris, admis …

En légiférant de fait sur sa capacité de mouvement, en s’attaquant à ses droits fondamentaux, le législateur fait en effet du sportif un salarié d’exception, qui n’aurait pas la liberté de contracter, qui verrait son accès à l’emploi limité car soumis à l’accord de son employeur ? Cela n’existe nulle part ailleurs, et c’est aussi parce qu’ils veulent être reconnus pour ce qu’ils sont que les sportifs professionnels sont montés au créneau dans un même élan. Le tollé est général chez nous et il dépasse d’ailleurs le cadre strictement français.

A quoi faites-vous allusion ?

Au soutien que nous manifestent à l’unanimité les organisations syndicales représentatives des sportifs salariés dans le monde et dans chacune de nos disciplines. La France devient le parent pauvre du dialogue social, alors que nous faisions la course en tête, alors que nous avons servi de modèle au monde entier. Le procédé employé nous renvoie quelques dizaines d’années en arrière. Il est malsain.

Et rien, de surcroît, ne justifie une telle urgence !

Strictement rien ! Aujourd’hui, le rallongement du premier contrat professionnel ne repose que sur la demande des clubs de football.

 

Mais de quel exode parle-t-on ? Quelles études, quelles statistiques en font état ? Si quelques jeunes s’en vont, c’est parce que leur club formateur a décidé de les vendre, n’ayons pas peur des mots. Et ils veulent, aujourd’hui, les vendre encore et toujours plus chers en mettant en avant la durée de leur lien contractuel. C’est la seule et unique raison !

 

Comme vous le disiez, l’argument était de mettre fin à l’exode ?

Mais de quel exode parle-t-on ? Quelles études, quelles statistiques en font état ? Si quelques jeunes s’en vont, c’est parce que leur club formateur a décidé de les vendre, n’ayons pas peur des mots. Et ils veulent, aujourd’hui, les vendre encore et toujours plus chers en mettant en avant la durée de leur lien contractuel. C’est la seule et unique raison !

Vous dites qu’il n’y a pas eu d’études préalables comme c’est d’ordinaire le cas…

C’est du lobbying, pas autre chose ! Un tel allongement de la durée des contrats, qui nécessite une modification de la loi, aurait dû faire l’objet d’une étude approfondie du gouvernement pour savoir, dans un premier temps, s’il y avait réellement un besoin pour le sport professionnel français, puis s’il y avait un caractère d’urgence. Rien n’a été fait ! A l’arrivée, la loi qui doit toujours porter l’intérêt général répond ici aux besoins exprimés par quelques clubs de football. J’en appelle ici au Conseil constitutionnel…Qu’il vienne censurer de lui-même un article de loi dont l’objet n’a strictement rien à voir avec le cadre qui avait été défini préalablement et en accord avec le conseil d’Etat, qui bouleverse l’équilibre économique et social d’un secteur d’activité et qui remet en cause la notion de contrat à temps puisque les sportifs professionnels vont de la sorte être à la solde de leur employeur pendant plus de 10 ans sans avoir le moyen de se délier de leur relation contractuelle…

Mais en France, la formation est déjà encadrée !

Et c’est ce qui fait sa force dans chacune de nos disciplines ! Prenons le football : les jeunes ont déjà l’obligation de suivre le cursus de formation, avec un enchaînement d’engagements pendant une période de quatre ou cinq ans, qui précède leur premier contrat sans possibilité de dédit… Quand on sait que la durée moyenne d’une carrière de footballeur est au grand maximum de sept ans, plus souvent de six ans, il est facile de comprendre que l’obligation actuelle de s’engager dans son club formateur pour la moitié de sa carrière entrave déjà gravement la liberté de contracter comme l’avait déjà relevé le rapport Bordas du Sénat en 1999. Faut-il rappeler, également, que le sportif est contraint de contracter dans des périodes données, ce qui réduit d’autant plus sa capacité à contracter…

Cela oblige aussi le sportif à accepter les conditions du club-employeur !

Oui, et que leur faudrait-il d’autre ? Le sportif n’a déjà pas d’autre choix que d’accepter ou de se lancer dans un rapport de force aléatoire pour sa carrière et son avenir.

 

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La situation actuelle est donc déjà critique…

Evidemment. Puisque l’on oblige le sportif à contracter, il faudrait lui donner, en contrepartie et selon des modalités à discuter avec les partenaires sociaux, la possibilité de s’engager avec le club de son choix, donc avec l’employeur de son choix comme dans n’importe quel autre secteur activité.

Quitte à devoir payer ?

Mais en toutes connaissances de cause, avec un montant connu, discuté et proportionné du dédit, s’il décidait de renoncer à l’exécution de son premier contrat au sein de son club formateur… Cette règle n’existe pas dans le sport, alors qu’elle l’est ailleurs !

Demain…

Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que forts du soutien de l’équipe de France de basket-ball, de plusieurs rugbymen internationaux, des piliers de l’équipe de France de handball, de la majorité des footballeurs professionnels évoluant en France, nous continuerons le combat. Il semble que le gouvernement nous a entendus, mais comme Saint-Thomas, nous voulons voir avant de croire. C’est pourquoi nous restons mobilisés et les sportifs avec nous. Une grande pétition commence à circuler dans l’ensemble de nos disciplines et nous avons acté un mouvement collectif réunissant toutes les forces vives du sport professionnel de l’hexagone entre le 21 et le 23 septembre prochain, lorsque les championnats de l’ensemble de nos sports respectifs auront repris.

C’est-à-dire ?

Un mouvement de grève générale, mais vous l’aviez compris ! »

Philippe Piat, coprésident de l'UNFP.
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