Le discours hommage de Philippe Piat à Just Fontaine

Posté le 30.03.2023 à 00h26

C’est donc là ta dernière blague, Justo !

Permets-moi de dire, au nom de l’amitié et de tout ce qui nous a réunis et unis pendant tant d’années, que c’est la moins drôle de toutes celles que tu prenais un malin plaisir à nous raconter…

Tout ce qui nous a unis et réunis, oui.

Comme d’être né au Maroc, l’un et l’autre.

Comme d’aimer passionnément le football, évidemment.

Comme d’avoir été avant-centre, même si ma carrière, pourtant honorable, n’est en rien comparable à la tienne, qui a fait de l’enfant de Marrakech une des légendes de notre sport, en France et partout dans le monde.

Quel incroyable joueur tu as été, Justo !

Quel formidable buteur, aussi, enfilant les buts comme d’autres les perles, de Nice à Reims, ou sous le maillot de l’équipe de France…

Il est par trop réducteur, même à considérer l’exceptionnel exploit qui fut le tien en Suède, de n’évoquer que tes 13 buts marqués lors de la Coupe du monde en 1958, et d’oublier que tu as rendu fous un nombre incalculable de défenseurs sur tous les terrains du championnat de France avec près d’une réalisation en moyenne par match tout au long de ta carrière, qui prit fin à 28 ans à peine, comme s’il fallait que tu payes en retour le prix de ta réussite, alors que tu avais encore tant à donner, tant de buts à marquer, tant de plaisir à prendre, à donner, à partager avec tes coéquipiers et le public qui, partout où tu allais, t’adorait, sans doute parce que les gens se reconnaissaient en toi et, plus que tout peut-être, parce que ta simplicité, ta modestie, ton humilité les rapprochaient tout autant d’eux que tes buts et tes victoires.…

Il n’empêche…

Bâti en quelques années à peine, ton palmarès force le respect et ton talent a été maintes fois reconnu tant au niveau national qu’international te propulsant au rang d’icône du football, un géant aux pieds agiles, assis à la table des plus grands.

Hier comme aujourd’hui. Comme demain aussi.

Mais ton histoire ne pouvait pas s’arrêter là, à ces multiples fractures dont tu garderas les stigmates tout au long du reste de ta vie, traînant la jambe comme un forçat son boulet.

Chanteur, ce que tu avais toujours voulu être, écumant dans ta prime jeunesse les radio-crochets au Maroc, tu inscriras à ton répertoire « Si l’on pouvait choisir sa vie ». La tienne, tu l’avais heureusement aussi bâtie dès les bancs de l’école, obtenant ton baccalauréat à une époque où ce diplôme ne s’offrait qu’à quatre candidats sur dix et à une minorité, que l’on peut qualifier de silencieuse, de footballeurs…

Ton éducation, familiale et scolaire, tes connaissances et les valeurs de partage et d’échange qui étaient les tiennes ont fait que, puisque tu t’étais toujours intéressé aux autres, tu as cherché à aider, à travailler au bénéfice des footballeurs professionnels. Et, là aussi, il y avait alors, et il reste toujours d’ailleurs, beaucoup de buts à marquer, beaucoup de victoires à remporter.

Nous sommes en 1961, au cœur des fameuses 30 glorieuses qui ont visiblement laissé le football et les footballeurs sur le bord de la route, plutôt sous l’étreinte de ce que Justo et quelques autres (André Lerond, Jean-Jacques Marcel, Robert Loubière, Norbert Eschmann, Eugène N’jo-Léa et le juriste Jacques Bertrand pour ne citer qu’eux) appellent alors le contrat léonin, qui lie les joueurs à leur club jusqu’à l’âge de 35 ans, sans avoir le moindre droit de regard ou de décision sur leur carrière, leur éventuel transfert ou leur salaire.

Au plus haut de sa renommée, il met sa notoriété au service de la création d’un syndicat de footballeurs, l’UNFP, dont il devient, en toute logique, le premier président. Un autre point que nous avons en commun, Justo et moi…

Ceux qui souhaitent maintenir ce système féodal en place font alors payer à Just Fontaine son engagement, mais il n’en a que faire, ne regrettera jamais son choix… Soutenu par l’ensemble des joueurs – et par un certain Raymond Kopa qui déclara, en 1963, que les joueurs étaient des esclaves -, il restera trois ans durant à la tête du syndicat naissant, quittant ses fonctions après l’institution du pécule de fin de carrière en 1964, première victoire qui en annonce beaucoup d’autres.

Il faudra attendre 1969 sous la présidence de Michel Hidalgo (dont la disparition, comme celle de Raymond Kopa, avait gravement affecté Justo…) pour que le contrat à durée librement déterminée soit instauré en France, près de 30 ans avant que la liberté contractuelle soit accordée, via l’arrêt Bosman, à l’ensemble des joueurs de la Communauté européenne et, par ricochets, à la quasi-totalité des footballeurs dans le monde, pour lesquels Justo s’était également engagé, fervent défenseur d’un syndicat mondial qui, grâce à l’action de l’UNFP, notamment, donna naissance à la FIFPRO, en 1965.

Jusqu’à la fin de sa vie, Just Fontaine sera resté proche de l’UNFP, dont il était si fier. Plus fier que ses 13 buts marqués à la Coupe du monde, ce record qui ne saurait définir l’homme qu’il a été. Ce record, qui tous les quatre ans, rappelait au souvenir de tous le formidable joueur qu’il avait été.

Les générations de footballeurs qui se sont succédé depuis 1961 ne peuvent pas oublier ce qu’elles doivent à Just Fontaine, à son engagement, à sa ténacité, à son courage. Certains joueurs aujourd’hui lui ont emboité le pas, d’autres devraient s’en inspirer et mettre leur notoriété au service du plus grand nombre.

À l’UNFP, nous n’oublierons jamais l’incroyable volonté de cet homme hors du commun. Notre peine, indicible, est aujourd’hui si lourde à porter, comme elle le fut lorsque Michel Hidalgo s’en est allé.

Chère madame Fontaine, permettez-moi, au nom de tous les footballeurs de France et d’ailleurs, au nom des élus et de salariés de l’UNFP de vous présenter, ainsi qu’à toute votre famille, mes plus sincères condoléances.

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