« Le calendrier est à la dérive, à nous de le ramener à bon port au plus vite! »

Posté le 17.12.2023 à 12h47

Dans un rapport portant sur la saison 2022-2023, la FIFPRO présente ses analyses sur la charge de travail assumée par les joueurs professionnels de football masculin. En étudiant les données de plus de 1500 joueurs nationaux et internationaux évoluant principalement au sein des cinq premières ligues européennes, la FIFPRO identifie les tendances générales et individuelles de cette charge, qui s’assimile de plus en plus à une surcharge.

Pour mener son étude, la FIFPRO a élaboré un outil, le Player Workload Index (PWI) ou Index de Charge de Travail du Joueur, permettant d’identifier des tendances actuelles par joueur, club et ligue ainsi que les mouvances générales du secteur du football professionnel. Les quatre composants du PWI sont : la charge de travail sur le terrain, le temps de repos entre les matchs, les trêves dans et entre les saisons et les voyages long-courriers. Le rapport de la FIFPRO 2022-2023 permet d’analyser ces composants en comparant les recommandations médicales dans ce domaine avec les réalités observées au cours du temps, jusqu’à la dernière saison sportive.

Voilà de nombreuses années que l’UNFP porte elle aussi ses questions et en fait régulièrement écho (lire ici notre dernier communiqué). Il était donc évident qu’en accédant aux responsabilités de président de la FIFPRO Europe, David Terrier, vice-président du syndicat français, s’attache à mener ce combat après avoir renoué le dialogue avec l’UEFA.

Dans le dossier qu’elle a publié sur l’encombrement extrême des calendriers, la revue « droit du sport » s’est logiquement adressé à lui. Nous vous livrons ici l’intégralité de cette interview…

 

« David, quelles ont été les réactions des institutions internationales du football à la suite de ce rapport ? Et des clubs ? Et des joueurs ?

Les instances internationales n’ont aucunement pris la mesure de ce rapport. Si je voulais synthétiser, leur seule réaction a été d’ajouter une compétition au niveau mondial (la Coupe du monde des clubs de la FIFA), et d’augmenter le nombre de rencontres jouées en Ligue des champions, la compétition reine de la confédération européenne. Comment, il est vrai, alléger un calendrier déjà démentiel, si ce n’est en demandant aux footballeurs de jouer plus, alors que ces derniers et leurs représentants se plaignent depuis plusieurs années des surcharges de travail ? Il fallait y penser. Il fallait oser. La FIFA et l’UEFA l’ont fait !

Au niveau des clubs, même s’ils s’expriment en priorité par la voix de leurs entraîneurs, le constat est à l’identique de celui des joueurs. Et nous saluons les présidents qui nous emboitent le pas, soucieux de la santé physique et mentale de leurs salariés, inquiets également pour la qualité du jeu, ce qui pourrait, à terme, impacter la fréquentation dans les stades, mais également donner un coup de frein aux droits télés. La priorité donnée aux compétitions internationales, que ce soit au niveau des sélections ou des clubs, a un impact négatif sur les championnats nationaux, forcément dévalorisés et donc moins attractifs, moins « bankables » pour reprendre au cinéma. Et nous savons aussi que trop de football tue le football, trop de football tue le spectacle, trop de football augmente significativement – les statistiques en la matière valent mieux que de longs discours – le nombre de blessés, accentue la lassitude et fragilise le joueur…

Quant aux joueurs, à l’écoute de leurs nombreuses prises de paroles sur un sujet qui les affecte particulièrement, il est évident qu’il souhaite voir le bon sens l’emporter, ils attendent que l’on en finisse de jouer avec leur santé physique et mentale, mais que l’on prenne en compte, au contraire, leur avis sur la question : les premiers acteurs, ce sont eux ! Ils connaissent mieux que personne leurs limites et la fuite en avant orchestrée par les instances les inquiète. Il n’est pas dit d’ailleurs que de cette inquiétude, profonde et partagée, naisse un mouvement qui traduira, mieux que les paroles, le ras-le-bol qui a fini par les gagner.

« Penser aussi à l’ensemble des joueurs… »

Mais nous devons penser aussi à l’ensemble des joueurs… Il y a aussi ceux qui ne disputent pas de Coupe d’Europe, ceux qui ne sont pas internationaux, donc il convient de ne pas oublier la majorité d’entre eux. Si la France semble faire figure de bon élève, nous savons que la suppression de la Coupe de la Ligue et le passage à 18 clubs de nos championnats d’élite – effectif pour la Ligue 1, programmé pour la Ligue 2 – ne doit rien à une quelconque volonté de préserver la santé physique et morale des joueurs, mais à des considérations commerciales, du marketing pur et dur.

Il n’en reste pas moins qu’un joueur de L1, qui ne joue que son championnat national et dont l’équipe est éliminée au premier tour de la Coupe de France, ne pourra disputer au maximum que 35 rencontres dans une saison… À comparer avec ceux qui approchent ou dépassent les 80 matches, qui traversent les mers et les océans pour retrouver leur sélection, le fossé est immense. Ils font pourtant le même métier… Il nous faudra donc trouver le juste équilibre pour que ni les uns, ni les autres ne soient défavorisés. Voilà encore, s’il en était besoin, une raison de plus de nous inviter autour de la table… Mais attention, notre mission première est de nous attaquer frontalement à l’excès de matchs. Le calendrier est à la dérive, à nous de le ramener le plus vite possible à bon port !

 

Lors de la modification de règles relatives au temps de jeu ou lors de la création ou la modification du format d’une compétition, la question de l’impact sur la charge de travail des joueurs est-elle prise en compte ? Sur de tels sujets, la FIFPRO est-elle consultée dans le processus de décision ?

Si tel était le cas, nous ne continuerions pas, inlassablement, à dénoncer les surcharges de travail et à demander une refonte en… profondeur du calendrier à laquelle tous les acteurs seraient associés au premier rang desquels les joueuses – il ne faut pas les oublier ! -, les joueurs et leurs représentants.

Mais comme il faut parfois positiver, l’initiative de l’UEFA de n’autoriser que dix minutes au maximum d’arrêt de jeu dans ses compétitions est une avancée positive à mettre au crédit de la FIFPRO Europe, dont je suis le président, qui a cherché à renouer un dialogue constructif avec la confédération européenne et qui, sur le sujet des charges de travail et l’accumulation des minutes jouées par match, a été entendu par Aleksander Čeferin, parfaitement conseillé en la matière par Zvonimir Boban qui, faut-il le rappeler ici, a été un immense joueur et qui, lors des nombreux échanges que j’ai eu avec lui, a montré qu’il comprenait le problème.

 

David Terrier et Zvonimir Boban se comprennent… parfois…

 

S’il ne peut pas révolutionner le calendrier, il peut, a minima et c’est ce qu’il fait, donner à son président les bonnes informations pour de meilleures décisions. Sans parler de victoire, c’est là une avancée notable dont il faut se féliciter en espérant qu’elle en appelle d’autres…

 

Dans son rapport de 2019, la FIFPRO a mentionné que la seule véritable solution serait de disposer de règles contraignantes concernant le temps de repos et la charge de travail des joueurs, les trêves pendant la saison et hors saison, ainsi que les déplacements longue distance. Croyez-vous toujours que ce soit le cas ? Si oui, pensez-vous que c’est la FIFA qui serait compétente pour réguler ces questions ?

Cela reste la seule et unique solution. Nous l’avons d’ailleurs tout dernièrement écrit dans un communiqué : « En l’absence de périodes négociées de repos, de récupération obligatoire entre les matchs, mais également d’outils de mesures protégeant et assurant la santé mentale et physique du footballeur, l’augmentation drastique du nombre de blessés dans les cinq championnats majeurs ne doit donc rien au hasard. Et si l’après Coupe du monde a donné raison à tous ceux qui appellent à une refonte du calendrier (joueurs, entraîneurs et dirigeants aussi), ce ne sont là que les prémices d’une crise plus profonde encore qui finira même, également, par détériorer le spectacle… »

C’est pour les joueurs et nous, mais également pour les entraîneurs, les préparateurs physiques, les médecins, une évidence.

C’est le calendrier de la FIFA qui donne le ton et impose ses dates. C’est donc à elle, dans un premier temps, de réduire la voilure et non, comme elle le fait, de lancer la grand-voile !

 

Pensez-vous que le PWI soit utilisé directement par des clubs individuels pour surveiller la charge de travail de leurs joueurs ?

Je ne doute pas, compte tenu des enjeux, qu’ils possèdent leur propre système d’analyse, performant, et que les relations entre les préparateurs physique, le staff médical et les entraîneurs fonctionnent. Plus qu’un système, c’est la volonté d’éviter que les joueurs dépassent leurs limites, les limites acceptables qui comptent. Je ne peux pas croire, à les entendre appeler de leurs vœux une refonte du calendrier que les coaches ne prennent pas ses données en considération, même si la pression, de plus en plus forte sur leurs épaules, rejaillit inévitablement sur les joueurs ! »

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