« En une journée, j’ai fait le deuil de mes jambes. Et du football ! »

Posté le 07.01.2022 à 01h20

En 2007, dans le deuxième numéro de Profession Footballeur, Manfa Camara, alors encore stagiaire à l’UNFP, avait accepté de se raconter. C’est ce témoignage, si beau, si fort, que nous avons décidé de partager avec vous pour honorer la mémoire de notre ami trop tôt disparu.

« Je m’appelle Manfa Camara. Je suis né à Anthony, dans la banlieue parisienne, le 26 juin 1977. Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours joué au foot.

Et, très jeune, j’ai pris ma première licence à Bourg-la-Reine, puis à Cachan. Il y eut ensuite Montrouge, puis un retour à Cachan, avant de quitter la région parisienne pour passer à la vitesse supérieure. J’ai fait six mois au Touquet, où l’on me payait pour jouer au football. Pour faire ce que j’aimais par-dessus tout. Enfin, on me payait… Au bout de six mois, les caisses du club étaient vides et j’ai fini la saison à Lucé, tout en vivant à Paris.

J’ai abordé le monde professionnel par le côté obscur…

C’est alors que j’ai été contacté par Angers, qui évoluait en National, et par Romorantin, qui jouait en CFA. Même si mon ambition était de signer un contrat professionnel, de jouer au plus haut niveau, c’est à Romorantin que je me suis engagé. Le discours de Vincent Dufour, l’entraîneur, m’avait séduit. Avec lui, j’étais persuadé qu’on allait jouer au ballon, bien jouer, s’amuser. De septembre à mars, nous n’avons d’ailleurs pas perdu le moindre match.

Au printemps, je me suis blessé, mais cette saison 1999-2000 reste, pour moi, la plus accomplie sur le plan humain. Nous formions une équipe. Une vraie et belle équipe.

Mais la roue tourne, forcément. J’avais déjà été plus ou moins en contact avec Rennes, Lille, Troyes et Le Mans, mais c’est à Lorient que j’ai signé mon premier contrat professionnel. A 23 ans.

 

Sous les couleurs du FC Lorient…

Nous avions à peine repris l’entraînement quand, le jour de mon anniversaire, je me suis blessé lors d’un footing dans les dunes. Une fracture de fatigue.

Sitôt remis sur pied à Romorantin, j’avais enchaîné les essais sans compter, j’avais pris sur mon temps de repos sans vraiment écouter mon corps. Il fallait que je passe pro !

J’ai fini par revenir en équipe première, à Lorient. Un match amical, d’abord. Puis, plus rien pendant trois semaines. Un jour, à l’entraînement, le coach, Christian Gourcuff, me rentre dedans. Et moi, je l’envoie balader. Je croyais bien avoir hypothéqué mes chances, mais je me retrouve dans le groupe pro pour la venue de Beauvais, le samedi suivant.

D’ordinaire, les nouveaux restaient sur le banc. Quand je suis parti m’échauffer en seconde période, j’étais à cent lieues d’imaginer que j’allais rentrer. Et pourtant, je me suis retrouvé sur le terrain alors que nous perdions (1-0). Et c’est avec une victoire en poche, ce soir-là, que nous avons fini la partie (2-1).

A partir de cette rencontre-là, j’ai joué. J’étais remplaçant, j’entrais après la pause. Au quatrième match qui a suivi mes débuts contre Beauvais, je me suis retrouvé attaquant titulaire pour un déplacement à Niort, le jour du mariage de ma soeur…

J’ai encore été blessé à l’entraînement. La gaine du péroné, cette fois. J’en ai pris pour un mois d’arrêt. Je suis revenu tout doucement. J’ai joué deux matches avec la réserve. Il y a eu la trêve hivernale, la reprise. J’étais dans le rythme.

Je faisais régulièrement des allers-retours à Paris. Un soir de janvier 2001, c’est arrivé entre Rennes et Lorient…

Quelques semaines plus tard, j’ai eu besoin de savoir, de comprendre pour continuer à avancer. Il me fallait remonter à la source. Ma première sortie a donc été pour le garage, pour aller voir la voiture. Le choc : les deux semaines de coma profond, la douleur, les médicaments pour la combattre, les jambes qui ne répondent plus, c’était donc à cause de cela, à cause d’un accident de la route dont je n’avais pas le moindre souvenir !

Je n’ai emmené personne dans ma galère, tant mieux ! Devant la tôle broyée, c’est la première chose que je me suis dite.

Puis, j’ai remonté le fil de l’histoire, assemblé les pièces du puzzle. La route, entre Rennes et Lorient. La nuit, la pluie. La voiture qui fait de l’aquaplaning, qui devient incontrôlable.

Je connaissais la cause, je devais m’attaquer aux effets. A mon admission à l’hôpital, le rapport médical disait à peu près ceci :

« Trauma crânien, nombreuses hémorragies cérébrales, compression de la moelle épinière un peu au-dessus du bassin…»

Paraplégique. Je connaissais le mot, évidemment, pas la définition.

En discutant avec les médecins, j’ai compris que les trois premiers mois sont presque toujours décisifs en ce qui concerne la motricité. Comme tous les sportifs, j’aime bien me fixer des objectifs. J’avais donc une date butoir en tête. Le jour du troisième mois qui a suivi l’accident, j’ai fait le deuil de mes jambes. Et du football.

Moi qui vivais pour et par le ballon, il me fallait tirer un trait sur tout ce qui avait été ma vie professionnelle jusque-là.

Il me fallait rompre avec cette passion qui m’avait construit et pour laquelle je me savais fait.

Ça a été l’affaire d’une journée.

Les semaines et les mois ont passé. Je n’avais qu’une idée en tête : rebondir, repartir. Ma femme a trouvé un CDI à Paris et l’idée de rentrer chez moi s’est alors transformée en évidence. A Cachan et à Montrouge, les clubs de mon enfance, je donnais un petit coup de main, mettant mon expérience au service du club. Je m’y suis jeté à fond, un an durant. Dans ma tête, mon corps fonctionnait comme avant l’accident et je n’ai jamais cherché à me refréner, à me protéger, à me préserver.

C’est alors que les problèmes ont commencé.

J’ai été une première fois hospitalisé pendant trois mois pour des escarres. Cinq ou six opérations ont suivi. Je n’en voyais plus le bout. Ça a duré deux ans. Ça a été plus difficile que tout, peut-être. Moralement, j’étais au plus bas. Vidé.

Vidé, oui, jusqu’à ce que Philippe Lafon, de l’UNFP, prenne contact avec moi en janvier 2006. L’UNFP, je connaissais. À Lorient, j’avais croisé Régis Garrault, délégué régional. Nous avions parlé, échangé. Mais je me méfiais, j’avais du mal à m’ouvrir. Comme beaucoup de jeunes, je pensais également que rien ne pourrait jamais m’arriver. Régis avait tellement insisté que j’avais fini par céder, par adhérer. Pourtant, tout au long des quatre années qui ont suivi l’accident, Régis et l’UNFP ont été plus que présents.

Mais moi, je gardais mes distances, toujours sur la défensive.

Après ces deux années passées le plus souvent sur un lit d’hôpital, je n’ai pas souhaité d’emblée répondre aux sollicitations répétées et pressantes du syndicat. J’avais besoin de retrouver ma famille, ma femme, Karine, et mes deux jumelles, Kelia et Maly, nées en 2004.

J’avais un besoin aussi bien physique que mental d’une relation forte avec les miens et je sais que mes enfants, qui ne comprenaient pas pourquoi j’étais resté si longtemps loin d’eux, ressentaient la même chose que moi. Je n’avais pas envie de les décevoir.

Philippe Lafon est revenu à la charge en décembre 2006. J’ai accepté le test de compétence sans avoir la réelle envie de m’investir.

On m’a proposé un stage à l’intérieur même du syndicat des joueurs. L’idée, pour moi qui n’avais jamais travaillé dans une entreprise, était de me faire découvrir une structure, et, je ne suis pas dupe, de susciter l’envie de m’investir dans un projet, l’envie de bouger, de sortir de chez moi. Disons que je me suis laissé porter. Revenir, d’une façon ou d’une autre, au ballon, cela m’attirait.

En mars 2007, les choses se sont accélérées, la proposition est tombée. Je l’ai acceptée. Depuis mai, me voilà stagiaire à l’UNFP…

J’ai du mal, aujourd’hui encore, à me projeter. Il y a six mois, je ne savais pas quoi faire de ma vie. Je ne sais pas sur quoi débouchera ce stage, mais la structure dans laquelle j’évolue correspond parfaitement à mes attentes. Comme quand j’étais footballeur, je considère cela comme un plaisir plus que comme un boulot.
Les premiers temps, avec Bob Senoussi, j’ai plongé dans le monde de l’assurance avec Europ Sports Assur, l’un des services que l’UNFP offre à ses adhérents.

Depuis quelques semaines, c’est Europ Sports Reconversion qui m’accueille. J’ai participé à la mise en place du stage que l’UNFP organise, tous les ans, pour les joueurs en rupture de contrat de travail.

 

Dès son arrivée à l’UNFP, alors stagiaire, Manfa Camara a fait l’unanimité. Et c’était la même chose auprès des joueurs…

 

J’ai eu deux ou trois gars au téléphone qui n’allaient pas bien, qui doutaient, qui avaient peur de cet avenir en pointillés qui semblait s’ouvrir devant eux. J’ai longuement parlé avec eux. J’ai d’abord écouté, puis il me semble que j’ai su trouver les mots justes…

Mais il faut que je fasse attention. Je me sais trop perméable aux difficultés des autres, à la misère du monde. Je suis une espèce d’éponge. C’est sans aucun doute le fait d’être en fauteuil, mais les gens viennent spontanément vers moi, pour me parler de leurs problèmes. Ça m’arrive même dans la rue. Ce n’est pas toujours facile, mais j’essaie de faire face.

Ma force, de toutes les façons, c’est mon mental. Le mental du sportif que je suis resté. La vie est faite de défis. J’en ai relevé un bougrement difficile, il y a six ans. Je peux en relever d’autres demain. Beaucoup d’autres… »

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