Thomas Aupic, le mot de passe…

Posté le 15.07.2022 à 17h30

Aussi tatoué qu’un Maori ou qu’un rappeur made in USA, aussi chambreur que toute une équipe de foot dans son vestiaire sanctuarisé, aussi calme que jovial, chantre de la positive attitude et sourire « VRP » toujours accroché aux lèvres – enfin, presque toujours… – et jamais, oh non jamais – déformation professionnelle oblige – avare de paroles, Thomas Aupic traque les maux au coeur de l’UNFP Football Club, délie les langues en gagnant la confiance des joueurs et trouve les bons mots.

En « face to face » lors d’entretiens programmés, juste en passant, l’air de rien, pendant les entraînements, les déplacements, les matches et encore au fil des heures qui s’égrènent parfois lentement à Lisses, ou lors d’interventions ciselées devant l’ensemble du groupe, tout est bon à prendre.

Rencontre avec l’ancien gardien du Paris FC, (p)réparateur mental de l’UNFP Football Club depuis 2018…

 

 

« Il y a encore quelques années, être préparateur mental dans l’industrie du football, c’était comme porter le costume du psy de Mafia Blues ou s’allonger sur le même divan que Tony Soprano…

C’est exactement cela ! Heureusement, même s’il demeure quelques incompréhensions et mauvaises impressions sur la nature même du travail fourni, l’époque sans acception de la préparation mentale dans le football est derrière nous. Mais avoir, en club ou en sélection, accès aux joueurs n’est que la partie émergée, car il faut tout de même continuer à convaincre chaque joueur, surtout gagner leur confiance…

Et se débarrasser des clichés…

(Il coupe.) Aujourd’hui encore, si l’on voit un joueur avec le préparateur mental, c’est qu’il a forcément un problème, qu’il pense être en situation d’échec, qu’il ressent une faiblesse. Pour certains, oui, les footballeurs sont des hommes comme les autres. Mais ce n’est pas notre seul champ d’intervention. Je prends systématiquement l’exemple du préparateur physique dont le travail est d’optimiser les capacités physiques du joueur pour l’amener le plus loin et le plus haut possible. Il n’intervient pas seulement pour remettre les joueurs en condition au retour des vacances, après une blessure…. Et bien le préparateur mental, c’est la même chose, il a le même objectif, il poursuit le même but, il cherche à amener le joueur au plus niveau de performance possible…

Allez, osons… « Mens sana in corpore sano… »

On a trop longtemps minimisé l’importance du rôle joué par tout ce qui touche au cerveau, non seulement pour les footballeurs mais pour l’ensemble des sportifs. Il n’y a pas que les muscles, l’endurance, la technique, l’intelligence de jeu… Entre un joueur qui n’est pas bien dans sa tête et un autre épanoui, serein, libéré du doute, conscient des réalités, à commencer par les siennes, fort de l’acceptation de l’autre et tourné vers l’avenir, la différence au niveau des performances sur le long terme peut être abyssale. Là encore, le sportif ne fait pas exception…

 

Humain, confiance : maîtres mots !

Disons qu’il a longtemps fait exception parce que cela n’était pas pris en compte dans les clubs et incompréhensible, qui plus est, pour le grand public, compte tenu du statut prétendu privilégié des footballeurs pour ceux qui n’appréhendent les réalités du métier qu’à travers les stars…

La performance de nos jours est plus précise, plus fine et ses critères mêmes ont évolué et il est devenu impossible par exemple d’ignorer ou même de minimiser la part des sens cognitifs qui optimisent les chances de réussite de chaque individu à l’intérieur d’un groupe. Il est donc important de donner aux joueurs la possibilité d’acquérir les connaissances nouvelles et nécessaires, de l’aider à améliorer sa perception, sa capacité de concentration, d’adaptation et de développer, dans un sport collectif, ses facultés d’interaction avec ses coéquipiers. Et ne jamais oublier, c’est primordial pour moi, l’humain. Il faut remettre l’humain au centre du terrain…

C’est ce que vous faites à l’UNFP Football Club depuis 2018 en devant, dès la deuxième année, membre permanent du staff…

Cela s’est imposé à nous. En étant à l’extérieur du groupe, mon travail n’était pas aussi efficient que ce que nous étions en droit d’attendre. C’était juste une question de confiance…

C’est-à-dire ?

Le football est ainsi fait que, quelle que soit la personne, on se méfie toujours des gens de l’extérieur. J’avais beau être un ancien joueur, intronisé par l’UNFP – Il fut délégué club à Chambly, Ndlr -, nous avions bien expliqué pourquoi et comment j’allais travailler, gagner la confiance des joueurs, dans ces conditions, a été difficile la première année et cela a nui à ma mission. Et je comprends parfaitement la raison qui pousse aujourd’hui les footballeurs à se protéger. Clubs, sponsors, agents, journalistes, supporters, parfois même entraîneurs, médecins, la liste est longue de ceux qui leur demandent beaucoup, trop même, et qui, en retour, peuvent tromper leur confiance. Ils ont connu tant de déceptions qu’il est facile d’admettre qu’ils n’aient pas la confiance facile. En vivant au quotidien avec eux, en partageant la vie du groupe, en étant totalement assimilé au staff, j’ai beaucoup plus de facilités à pénétrer leur espace personnel, même si certaines portes sont plus difficiles à pousser que d’autres…

Car cette confiance est nécessaire…

Obligatoire, même ! Et, comme lorsque l’on évoque la rapidité avec laquelle il faut, au sein de l’UNFP Football Club, préparer physiquement les joueurs ou bâtir un collectif, il faut aller vite pour libérer leur parole, créer un lien… L’un des objectifs est, justement, de gagner du temps sur l’amélioration des performances.

Mais obtenir la confiance ne suffit pas, il faut aussi que les joueurs adhèrent…

Et il n’est pas toujours évident de les convaincre, oui. Lorsque vous travaillez l’endurance, soulever des barres lors des séances de musculation, les résultats, s’ils sont le fruit d’un travail répété, soutenu, apparaissent à courte ou moyenne échéance. Mais dans mon domaine, il faut oublier l’immédiateté, même si certains signent peuvent apparaître plus ou moins rapidement, mais il convient de penser en termes de mois, d’année même. Et accepter que les progrès ne soient pas quantifiables. Il n’y a pas de GPS pour le cerveau qui viendrait mesurer l’évolution et sanctionner le travail du préparateur mental…

Comment faire alors ?

S’appuyer sur des exemples, donner la preuve que ce travail-là finit lui aussi par payer… Pour parfaire ma formation, j’ai étudié le cerveau humain, qui ne s’est pas encore livré à nous en totalité, tellement ses possibilités sont incroyables. Mais ce que j’ai appris m’aide au quotidien. Le cerveau, par exemple, a besoin de concret pour accepter ce que vous lui proposez. Il veut être récompensé – je lève des barres, je suis plus fort, par exemple. Il a besoin d’être encouragé… C’est pourquoi je livre aux joueurs les résultats de plusieurs enquêtes sur le bénéfice chez les sportifs en général du travail avec un préparateur mental et l’amélioration, celle-là quantifiable, de leurs performances. il convient aussi qu’ils apprennent à reconnaître les petits signes qui témoignent de l’évolution positive consécutive à notre travail en commun. Comme tout un chacun, ils croient ce qu’ils voient et moi aussi…

Vous ne vous prénommez pas Thomas pour rien… Votre travail au sein de l’UNFP Football Club, au regard de vos diverses expériences avec d’autres footballeurs, est-il rendu plus difficile par la situation difficile que traversent ces joueurs ?

Parce qu’ils sont à la recherche d’un nouveau contrat ? Non, pas du tout. En règle générale, puisqu’ils connaissent le milieu du football, ils acceptent ce qu’ils vivent. À de rares exceptions près, la vie d’un footballeur professionnel n’est pas un long fleuve tranquille, mais une route semée d’embûches : « Je ne me sens pas bien dans ce groupe », « Je ne suis pas accepté », « Je n’ai pas de bonnes relations avec mon entraîneur, avec tel ou tel coéquipier », « Je suis sous contrat, mais je ne joue pas, plus », « Je n’évolue pas à mon poste », « On veut me transférer, me prêter contre ma volonté », etc. Ça, c’est le quotidien de la majorité des joueurs et cela nuit, régulièrement, à la qualité de leurs performances.

Vous arrive-t-il d’intervenir auprès du staff technique pour évoquer l’état psychologique d’un joueur et conseiller de ne pas le faire jouer…

Surtout pas ! Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. Je me l’interdis et, m’appuyant sur le code déontologique, je ne dévoile pas ce qu’un joueur me dit. Comment pourrais-je, en agissant de la sorte, conserver sa confiance et continuer à travailler à améliorer ses performances ? Ce serait une faute professionnelle. En revanche, puisque nous travaillons aussi cela, je fournis des indications sur les préférences motrices ou donne à l’entraîneur, si nécessaire, les clés pour faciliter le dialogue avec un joueur. On ne peut pas leur parler à tous de la même façon… Après, au risque de me répéter, il faut juste que dans notre milieu on comprenne qu’il est primordial de remettre l’humain au coeur de la performance. Pensez à l’homme, à sa vie en dehors du football, à ses rêves, à ses doutes, pas seulement l’écouter mais l’entendre, le comprendre, l’aider… Et le footballeur n’en sera que meilleur ! »

Au sommet. Au pic de sa forme physique et mentale.

 

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