David Terrier: «Je ne lâcherai rien!»

Posté le 13.10.2024 à 11h32

Après cinquante-cinq ans à la tête de l’UNFP, Philippe Piat a passé le témoin, ce samedi 12 octobre, à David Terrier. Le nouveau président du syndicat mesure le poids des responsabilités qui, à divers niveaux, sont aujourd’hui les siennes. Ce qui n’altère en rien son enthousiasme, nourri par la confiance qu’il affiche en l’UNFP, en ses salariés et en ses adhérents, ces footballeuses et ces footballeuses qu’il place au-dessus de tout et au service desquels il promet de donner le meilleur de lui-même. Voilà un certain temps déjà, qu’il imprime son style au sein du syndicat français, tout en étant garant de ses valeurs fondatrices. Entretien.

 

Une évidente complicité entre le président historique et son successeur…

 

« En 1969, année de la première élection de Philippe Piat à la présidence du synierdicat français, vous n’étiez pas né ?

C’est le cas de la grande majorité des salariés de l’UNFP d’autant plus que, le temps passant, le renouvellement a rajeuni les cadres de notre équipe avec l’arrivée, ces dernières années, de joueuses et de joueurs fraîchement retraités… Comme je l’ai dit juste après mon élection, la longévité de Philippe en tant que président ou même son âge n’ont jamais été un sujet en interne. Il n’a jamais failli à son engagement au service des footballeuses et des footballeurs, c’est le plus important, c’est qui compte pour nos adhérents et pour nos salariés. Laissons le reste à ceux qui font commerce des critiques et ont même bassement attaqué l’homme en pensant pouvoir le déstabiliser ou l’affaiblir voire l’isoler. C’était mal le connaître et ne rien savoir de notre attachement, de notre profond respect, de notre reconnaissance pour celui qui a fait de l’UNFP un syndicat fort, indépendant, représentatif et forcément reconnu et respecté par les instances.

C’est toujours le cas ?

C’est même une évidence. Et je ne suis pas le seul à le penser…

 

« Être sans cesse à l’écoute des joueuses et des joueurs… »

 

Qu’est-ce qui vient nourrir ainsi vos certitudes ?

Dans un pays où le taux de syndicalisation oscille entre 7 et 8 pour cent, nous restons une exception avec, en moyenne ces dernières saisons, l’adhésion de plus de 90 pour cent des footballeurs professionnels évoluant en France. Cette confiance renouvelée consacre bien évidemment un travail collectif, elle prend sa source dans l’engagement quotidien qui est le nôtre auprès des joueuses et des joueurs, dans ce que nous réalisons à leur service, répondant d’autant plus et mieux à leurs besoins, à leurs attentes que nous sommes sans cesse à leur écoute. Et nous les accompagnons lors des litiges inhérents à notre profession, nous leur offrons la possibilité de rebondir quand leur carrière est à l’arrêt, nous les aidons à se former pour préparer l’après-football ou, à l’opposé, à entrer dans une profession où l’on débute de plus en plus jeune. Et, puisque telle est aussi notre mission, nous mettons leur talent en lumière via nos différents trophées et nous sommes à leur côté dans leur engagement sociétal… Enfin, puisque le football se moque des frontières et que la France est membre de l’Union Européenne, nous restons particulièrement engagés au sein de la FIFPRO dont l’UNFP, faut-il le rappeler, est l’un des membres fondateurs.

C’est d’ailleurs au syndicat international que vous avez, pour la première fois, succédé à Philippe Piat en 2021…

J’ai alors véritablement pu mesurer l’impact du syndicat français sur les autres membres : nous restons un modèle et un leader au niveau politique, un exemple au regard de notre organisation et de tout ce que nous réalisons pour et avec les joueuses et les joueurs. Tout cela, nous le devons à Philippe Piat et nous ne l’oublierons jamais. Cet héritage, c’était tout ou partie de sa vie. Vous comprenez pourquoi nous en prendrons particulièrement soin.

Vous, plus que les autres…

Moi, comme les autres. Plutôt avec les autres car je ne connais d’autres façons de travailler que de s’appuyer sur la force d’un collectif. C’est ce que j’ai appris dès que j’ai commencé à jouer au football, c’est ce que j’ai apprécié en faisant mes premiers pas à l’UNFP en qualité de délégué régional. C’est ce même esprit qui a habité Philippe Piat, ces quinze derniers mois, en s’associant pleinement à la réforme de la gouvernance que nous avons collégialement décidé de mettre en place afin qu’en y travaillant bien en amont le passage de témoin se fasse en douceur car il a été réfléchi, préparé, validé par l’ensemble de la direction, tout comme les nouveaux process qui, à mes yeux et compte tenu des nombreux changements que nous avons connus ces trois dernières années, y compris structurellement, étaient devenus nécessaires. Même si cela a pu bouleverser ses habitudes, Philippe ne s’est jamais opposé à ces changements et je me dois ici de l’en remercier. Mais il savait que nous agissions pour le bien de l’UNFP, donc au bénéfice des joueuses et des joueurs.

 

« Être toujours assuré de soutien de tous ! »

 

Quel président serez-vous ?

Si vous n’avez pas l’adhésion de tous, au moins d’une forte majorité, vous pouvez toujours essayer de convaincre, mais pas d’imposer. Si un président doit fixer des objectifs, définir une politique, voire imprimer un style, il doit sans cesse être à l’écoute, partager, échanger. C’est encore plus vrai pour nous qui devons-nous faire l’écho de nos adhérents. À quoi nous servirait-il d’être aussi proches des joueuses et des joueurs, de leur parler, surtout de les écouter et de les entendre si nous décidions in fine seuls dans notre coin ?

Si les salariés de l’UNFP sont en majorité d’anciens footballeurs professionnelles, ou d’anciennes joueuses de l’élite, ce n’est pas pour une question de corporatisme, mais parce qu’ils connaissent le métier et qu’ils sont à même de participer à la réflexion sur le présent et l’avenir de ce qui a été leur profession, l’une des plus exposées. Et lorsque le président de l’UNFP, en totale osmose avec la direction de notre syndicat et son comité directeur, doit trancher, il peut le faire en toute connaissance de cause, en étant de surcroît assuré du soutien de tous.

Cette façon de travailler, c’est votre marque de fabrique…

C’est celle d’un grand nombre de dirigeants, elle ne m’appartient pas.

 

Le dialogue a repris entre l’UEFA et la FIFPRO Europe, entre Aleksander Čeferin et David Terrier…

 

C’est, en tous les cas, celle que vous avez, pardonnez-moi, imposée en tant que président de la FIFPRO Europe…

Je n’en connais pas d’autres, je le répète. Et ma modestie dut-elle en souffrir, mon mandat à la tête des syndicats européens et jusqu’à ce jour plutôt positif : nous avons renoué le dialogue avec l’UEFA et nos échanges laissent présager que l’on tiendra désormais compte de notre avis. Ce rapprochement – je dois à nouveau rencontrer le président Ceferin, ce mardi – a même déjà donné quelques résultats : limite du temps additionnel pour les compétitions européennes, augmentation du nombre de joueurs par sélection lors du dernier Euro. Nous partions de zéro ou presque.

En fait, vous marchez dans les pas de Philippe Piat, qui fut aussi président de la FIFPRO Europe…

C’est la place et le poids de l’UNFP qui le veulent…

 

« Il n’y a pas de place pour l’amateurisme ou l’improvisation! »

 

Vous avez aussi la réputation d’être un gros travailleur, de bien connaître les dossiers…

C’est une obligation. Il ne faut pas oublier d’où nous venons et ce n’est pas des bancs d’une université. Il faut donc accepter, pour remplir la mission qui est la nôtre, d’en faire plus que les autres, mais à l’arrivée, c’est valorisant et cela prouve – mais à qui faut-il encore le prouver ? – qu’un footballeur, s’il s’en donne les moyens, s’il travaille, s’il est bien entouré, bien conseillé aussi, peut tout à fait être en capacité de discuter d’égal à égal avec les dirigeants – certains d’entre nous le sont d’ailleurs devenus -, leurs avocats, leurs conseillers… Il faut bien comprendre que les rapports – quand ils existent encore… – avec les employeurs ou avec les instances sont aujourd’hui d’une toute autre nature. Il n’y a pas de place pour l’amateurisme ou l’improvisation !

Sacrées responsabilités…

Et je ne me vois pas décevoir ceux qui ont cru en moi et me les ont confiées. Mais aussi, mais surtout, parce je n’imagine pas ne pas être à la hauteur des attentes des joueuses et des joueurs. Pour elles, pour eux, je n’ai pas le droit de prendre les choses à la légère que ce soit avec l’UNFP ou avec la FIFPRO. Les enjeux sont trop importants pour laisser place à l’amateurisme, au dilettantisme. Je ne me vois donc pas participer à une réunion sans avoir pris connaissance en profondeur des dossiers. Je lis tout, j’interroge les personnes qui travaillent avec moi si nécessaire sur tel ou tel dossier. J’essaie de maîtriser les choses le plus possible pour pouvoir prendre de la hauteur, pour être en capacité d’intervenir, de porter et de défendre mon opinion, tout en ayant assez de recul pour ne pas être rétif par principe à celle des autres.

Voilà quelques années que le football français saute d’une mini-crise à l’autre…

(Il coupe.) Et je sais que beaucoup en annoncent une plus grosse… En tous les cas, à l’UNFP, nous y sommes tous préparés, d’autant les joueurs, particulièrement inquiets, seront encore en première ligne, même s’il ne faut pas oublier tous ceux qui, dans un club et à tous les niveaux, nourrissent aussi des craintes légitimes quant à leur avenir.

Il ne faut néanmoins pas baisser la tête. Notre football a, par le passé, traversé de nombreuses périodes sensibles sans pour autant exploser, et la plupart du temps en en sortant même renforcé. Néanmoins la donne a changé, les enjeux sont de plus en plus importants et les moyens en baisse, si l’on considère du moins cette saison. L’arrivée de présidents étrangers, parfois nommés par des fonds d’investissement, a considérablement modifié le paysage, que ce soit dans le management des clubs ou dans le rapport au travail et aux salariés, notamment au regard du système social de notre pays, jugé trop protecteur. Ce qui explique que certains cherchent à s’en défaire au sein de leur club-entreprise.

 

« Les dirigeants ont enterré le dialogue social, il nous reste la justice… »

 

Par petites touches, ils tentent également de s’attaquer à la Charte du football…

Notre convention collective est dans le collimateur, c’est une évidence. Depuis quelques années déjà avec le non-respect de l’article 507 qui prévoit qu’au 1er septembre tous les joueurs sous contrat doivent ne former qu’un seul groupe. Pourtant, les lofts sont construits pour durer ici ou là, sans que cela n’émeuve la Ligue, la Fédé, le ministère des Sports…

Les clubs ayant enterré le dialogue social, nous n’avons pas eu d’autre recours – après avoir pourtant tout essayé pendant de longues années, vous pouvez me croire -, que d’en appeler à la justice en janvier dernier, alors que nous avions répertorié depuis le début de la saison 180 joueurs victimes de cette pratique qui a été jugée comme étant constitutive de harcèlement moral.

Nous avons donc déposé une plainte contre X auprès du Procureur de la République pour extorsion, harcèlement et complicité de ces délits pour le non-respect de l’article 507 de la Charte du football professionnel.

Comme l’UNFP l’a toujours souhaité, nous continuerons à prôner le dialogue, à vouloir travailler dans un climat apaisé, mais il n’est pas question que les joueurs pâtissent des errances et des erreurs de dirigeants qui, en pariant sur le trading, ne pouvaient ignorer mettre en danger l’équilibre financier de leur club et qui font, sans le moindre remord, payer la note aux joueurs.

 

Le triumvirat à duo… Fabien Safanjon, vice-président, et David Terrier, président, ont témoigné reconnaissance et respect à Philippe Piat…

 

C’est évidemment inacceptable…

Comme l’est d’ailleurs aussi – et Fabien Safanjon, responsable du football au féminin à l’UNFP, ne m’en voudra pas d’en faire mention -, la décision unilatérale des présidents d’arrêter les négociations pour la finalisation d’un accord collectif pour les féminines, enfin reconnues chez nous comme professionnelles. En validant à la va-vite afin qu’il s’applique dès le début du championnat, un texte qui ne convenait ni aux joueuses, ni à l’UNFP concernant la problématique des droits à l’image et de la caisse de prévoyance, les dirigeants ont bien maladroitement choisi de passer en force, en faisant fi du dialogue social. À leur place et à ce que je sais de la détermination des joueuses, ils devraient se méfier du retour de bâton et décider de reprendre les discussions…

Le football au féminin est devenu l’une des priorités de l’UNFP…

On ne pourra pas nous accuser d’avoir pris le train en marche, puisque voilà des années que nous travaillons avec les footballeuses, très impliquées. Nous avons d’ailleurs décidé de renforcer notre département féminin, sous la conduite de Fabien Safanjon, avec l’arrivée d’Élise Legrout, une ancienne joueuse, qui vient d’ailleurs d’être élue au sein de notre Comité directeur où elle rejoindra Eugénie Le Sommer, notre secrétaire générale, et Kadidiatou Diani qui entament respectivement leur troisième et deuxième mandat.

Comment relancer le dialogue social en France, qui était partout cité en exemple, il n’y a pas si longtemps encore ?

Ce n’est pas à moi, pas à l’UNFP, qu’il faut poser cette question. Chaque fois que nous regrettons que le dialogue social soit à l’agonie nous ne manquons pas de signifier notre volonté de le voir renaître de ses cendres. Mais nos appels restent sans réponse. Ce qui ne nous empêche pas de continuer à penser qu’il est indispensable et d’espérer que les dirigeants comprendront qu’il leur revenir autour de la table. Le plus étonnant, c’est que nous avons, avec la plupart d’entre eux de bonnes relations et elles ne sont ni forcées, ni sur-jouées. Il faudra bien un jour, de toutes les façons, que l’on s’explique. Si certains n’acceptent pas que nous fassions notre travail de syndicaliste quand eux ne respectent pas les règlements ou la Charte et qu’ils ne voient en nous que des adversaire, ce n’est pas une raison pour qu’ils imposent à tous le blocage du dialogue social. L’exemple du non-respect de l’article 507 et de notre plainte contre X devraient pourtant les ramener à la raison. Ce n’est pas en refusant les échanges avec nous qu’ils nous empêcheront d’agir au bénéfice des joueurs, de les défendre en veillant strictement à l’application des règlements et de la Charte. Si cela doit passer désormais par les tribunaux, nous n’hésiterons pas, même à regretter de devoir en arriver là…

Vous avez déjà ouvert la voie…

En janvier avec la plainte contre X comme on vient de le voir, en juin dernier aussi et ce lundi 14 octobre encore. Les deux derniers cas – pour lesquels l’UNFP est associée à différents syndicats nationaux, à la FIFPRO, à la FIFPRO Europe et à plusieurs ligues professionnelles – concernent le calendrier international, chasse gardée de la Fifa, qui se moque de la santé physique et mentale des joueurs, qui piétinent les conventions collectives de nombreux pays, dont la France, qui prévoient trois semaines de repos entre deux saisons de compétitions, qui met en danger l’équilibre économique, déjà fragile, des championnats domestiques en diminuant leur attractivité, donc les possibilités de financer l’activité des clubs via la télévision, en créant une profession à deux vitesses entre ceux qui disputent 70 matches et plus alors que d’autres, dans la même division, peuvent en jouer deux fois moins…

Les joueurs n’hésitent plus désormais à prendre la parole pour dénoncer ces cadences infernales, les entraîneurs montent au créneau, tout comme certains présidents et voilà donc que les ligues, elles aussi, entrent dans la danse. Même à entendre les joueurs évoquer la possibilité d’une grève, la Fifa continue à faire la sourde oreille, comme elle l’avait fait s’agissant de notre demande – portée notamment par un certain Philippe Piat – de refonte du système des transferts. Le 4 octobre dernier, la Cour Européenne de justice à donner raison à Lassana Diarra jugeant illégal un système qui bafoue le droit à la concurrence et s’oppose à la libre circulation de travailleurs, ci-devant footballeurs professionnels. Les juges européens ouvrent la voie d’une convention collective, qui à défaut d’être européenne, devra s’appliquer dans tous les pays où le football professionnel a droit de cité après avoir été discutée paritairement. Les fédérations en question sont forcément membres de la Fifa, qui va donc devoir revoir sa copie et arrêter de décider seule et d’imposer ses règles et règlements…

Vous serez sur le pont dès ce lundi 14 octobre à Bruxelles, vous n’aurez donc pas le temps de savourer…

Pour savourer pleinement l’honneur qui m’est fait de devenir le cinquième président de l’UNFP, il n’y aura rien de mieux ni de meilleur pour moi que de nous voir gagner les combats que nous menons et mènerons pour les joueuses et les joueurs. C’est l’objectif, il ne peut y en avoir d’autre ! Et c’est ce qu’en qualité de président, j’aiderai à atteindre, je l’espère, en ayant mis tout en œuvre pour y parvenir. Vous pouvez me croire, je ne lâcherai rien !

Alors oui, mais alors seulement, je pourrai savourer avec tous ceux qui, au sein de l’UNFP, y auront participé ! Ce ne seront mes victoires ou même nos victoires, ce seront celles des joueuses et des joueurs puisque nous les aurons acquises pour elles et eux, parfois même avec elles et avec eux… »

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