Baptiste Aloé, « Parler en toute franchise de ce qui nous concerne directement ! »
Posté le 31.03.2023 à 09h56Le défenseur central de l’AS Nancy Lorraine, Baptiste Aloé, passé par l’UNFP Football Club l’été dernier, était présent lors du passage de nos équipes en Lorraine, à l’occasion des « Rencontres UNFP ». Le natif de La Ciotat, de retour sur les terrains d’entraînement de l’ASNL après sa blessure au genou, revient sur ce temps d’échanges, devenu incontournable. Et va même un peu plus loin, posant un regard inquiet sur l’évolution d’une profession qu’il estime en danger…
« Baptiste, comment s’est déroulé cette rencontre UNFP à Nancy ?
C’était un très bon temps d’échange, très instructif, avec les représentant de l’UNFP. Rencontrer les membres de notre syndicat en dehors du club, dans un contexte différent, nous offre la possibilité de parler en toute franchise des sujets qui nous concernent directement
Par exemple ?
Nous avons notamment évoqué les conséquences de la réforme des championnats, avec le passage à 18 clubs en Ligue 1 et en Ligue 2, mais aussi les évolutions en National et dans les niveaux inférieurs. Et comme lors de la dernière Assemblée générale de l’UNFP, nous sommes aussi largement revenus sur les mises à l’écart des joueurs, qui a touché 170 d’entre nous cette saison, et sur le non-respect de l’article 507 de la Charte du Football, qui est censé nous protéger. Il est tellement galvaudé par les clubs aujourd’hui, cela devient totalement insupportable.
Existe-t-il d’autres raisons de s’inquiéter, aujourd’hui ?
David Terrier, vice-président de l’UNFP, qui a animé ce rendez-vous, a également fait un point sur les conséquences de la création de la société commerciale de la LFP, et du développement du trading, de la marchandisation des joueurs, qui ne cesse de se développer avec l’arrivée massive des investisseurs étrangers.
Heureusement, l’UNFP veille au grain…
David a d’ailleurs détaillé les services personnalisés proposés par l’UNFP, comme l’aide du service juridique, dont j’ai bénéficié quand j’évoluais à l’étranger. Il a évoqué également l’UNFP Football Club, auquel j’ai participé l’été dernier, les actions du service sociétal avec Players For Society ou encore Bodyguard, pour sécuriser nos réseaux sociaux face aux messages de haine qui sont légion.
Il y a aussi la reconversion…
Didier Neumann, notre chargé de mission formation et reconversion dans la région Est, a effectué un large tour d’horizon des possibilités actuelles de formation, compatibles avec notre métier de footballeur. J’ai d’ailleurs profité du temps disponible avec ma blessure pour entamer une formation d’analyste vidéo, organisée par l’UNFP, et réalisée à 100% à distance.
Qu’est-ce qui t’a poussé à suivre cette formation ?
Je suis plus près de la fin que du début de ma carrière. Je préfère donc anticiper. Personne n’est à l’abri d’un coup dur, que ce soit une blessure, comme celle que j’ai eue, ou un passage difficile. Je n’ai pas envie de subir l’après-carrière, je suis dans l’état d’esprit de la préparer activement.
Il n’y a de temps à perdre…
Je préfère en effet gagner du temps en m’intéressant à l’après-football dès aujourd’hui pour basculer plus rapidement dans ma nouvelle vie active quand il me faudra raccrocher les crampons. Je suis plusieurs formations, dans plusieurs domaines, pour déterminer ce qui me plait le plus et écarter les autres.
En restant dans le monde du football forcément ?
Pour l’instant, c’est l’idée, oui. Cette première formation dans analyse vidéo est une bonne entrée en matière pour poursuivre dans un cursus sportif.
Être joueur professionnel, c’est de plus en plus difficile aujourd’hui ?
C’est le moins que je puisse dire. Si je reviens sur les mises à l’écart, ce phénomène n’a jamais été aussi important qu’il peut l’être cette saison. Il est extrêmement important pour nous les joueurs que nous soyons tous solidaires et unis face à ce fléau, comme nous l’avons démontré lors de la dernière Assemblée générale de l’UNFP. Soyons prêts à agir, par une action collective s’il le faut, pour nous faire entendre par les instances sportives et même politiques.
Ce n’est pas évident, malgré les actions répétées de l’UNFP, pourtant ouverte au dialogue…
À l’heure actuelle, les joueurs sont de moins en moins écoutés par les instances, qu’elles soient nationales ou internationales. Il suffit de regarder les cadences infernales des internationaux, avec un nombre de matches qui ne fait qu’augmenter, sans se soucier de la santé des principaux acteurs. Le témoignage de Raphaël Varane, qui a mis un terme à sa carrière avec les Bleus parce que sa santé mentale était en danger, m’a particulièrement touché.
Comment expliques-tu cette évolution ?
Entre le début de ma carrière et aujourd’hui, les valeurs du football ont énormément évolué. Le trading est une pratique qui se généralise. Le nombre de contrats professionnels par club est de plus en plus important, alors que, paradoxalement, seule une vingtaine de joueurs joue régulièrement. Comment alors gérer des effectifs de trente, de quarante, voire même parfois de cinquante joueurs ?
Signer un contrat pro n’est plus l’assurance de faire carrière…
Certains clubs font signer des contrats pros à des gamins de16 ans. Très bien. Mais que ce passe-t-il après pour ces jeunes ? Cela devient une norme de passer d’un contrat pro à l’oubli. Par conséquent, de plus en plus de joueurs sont touchés par des problèmes de santé mentale.
Malgré quelques prises de parole, c’est encore un tabou dans le football…
Et ce ne doit plus l’être. On doit pouvoir en parler librement et aussi être aidé. En ce sens, l’action de l’UNFP avec « C’dans la tête » est positive et nous les joueurs, nous ne devons plus hésiter à évoquer ces problèmes au prétexte que nous sommes considérés comme des privilégiés. Mais cela ne concerne qu’une minorité d’entre nous… »