Philippe Piat : «Ça ne peut plus durer!»

Posté le 26.12.2016 à 09h45

Reprise de l’interview de Philippe Piat, publiée ici même le 29 novembre dernier.

Voilà des années que Philippe Piat, coprésident de l’UNFP et président de la FIFPro, appelle les profondes réformes nécessaires à inscrire le football professionnel dans son temps. L’étude réalisée par la FIFPro sur les conditions de travail dans le monde, auprès de 14 000 footballeurs, la première du genre, vient confirmer l’urgent besoin d’un changement radical et conforter Philippe Piat dans ses positions, ce qui, à ses yeux bien évidemment, n’est pas le plus important…

« Philippe, à la lecture de cette enquête, on peut parler d’un véritable coup de tonnerre…

C’est un doux euphémisme ! Cette étude, qui fera date, balaie tous les préjugés sur les footballeurs professionnels, et l’image qui leur colle à la peau à cause de la méconnaissance des réalités de leur métier, ou plutôt de l’exposition médiatique d’une infime minorité d’entre eux. Nous n’avons eu de cesse de dénoncer ces amalgames, ces généralités et nous avons, souvent, prêché dans le désert, quand on ne se moquait pas de nous. Comme je l’avais dit lors du dernier congrès de la FIFPro, en début de mois, paraphrasant Léo Ferré, on pourra continuer à nous rire au nez, mais tout dépendra, désormais, de quel rire !

 

Cliquez ici pour télécharger l’enquête de la FIFPro… Le Rapport mondial sur l’emploi 2016
La resumé du Rapport mondial sur l’emploi 2016

 

Cette étude…

(Il coupe.) Permettez moi, avant d’aller plus avant, de féliciter l’administration de la FIFPro pour l’énorme travail qu’elle a produit ici. Comme lors de la sortie de notre « Black book », il y a un peu plus de quatre ans et qui dénonçait les pratiques dans les pays de l’Est de l’Europe, nous pouvons, nous devons être fiers de ce que nous avons réalisé là, et – sans risque de me tromper -, je peux affirmer que nous sommes les seuls à pouvoir réussir un tel tour de force grâce à l’engagement de chacun de nos syndicats dans le monde, qu’il convient ici aussi, de complimenter, et sans lesquels rien n’aurait été possible. Mobiliser près de 14 000 footballeurs – que je tiens à remercier – autour d’un projet commun était une gageure, mais il n’a pas été difficile de les convaincre : ils ont compris l’importance de cette enquête et l’impact qu’elle aurait, non seulement auprès du grand public et des médias, mais aussi – mais surtout, du moins faut-il l’espérer… – auprès des instances, qui n’ont jamais réellement pris conscience du quotidien des footballeurs… Et qui, du même coup, n’ont jamais ressenti le besoin d’agir pour l’ensemble d’entre eux, malgré nos relances permanentes et les cris d’alarme, ici ou là, qui, loin d’être des épiphénomènes, rendaient compte d’une situation toujours plus dramatique. Aujourd’hui, plus personne ne pourra dire qu’il ne savait pas, plus personne ne pourra ignorer les conditions de travail de la majorité des joueurs professionnels, plus personne ne pourra réfuter la précarité d’une profession qui fait pourtant rêver, plus personne ne pourra nier le besoin urgent, vital, de réformes structurelles.

 

Les joueurs du Stade Migoveen, au Gabon, réclament leurs salaires après des mois d'attente...

Les joueurs du Stade Migoveen, au Gabon, réclament leurs salaires après des mois d’attente…

 

Tout est donc lié…

Qui prétendra le contraire ? Qui pourrait dire que la FIFPro, qui se soucie, elle, de l’ensemble de footballeurs et pas seulement de l’élite, n’a jamais dénoncé la relation, évidente, entre les maux du football professionnel, tels que décrits ici par les footballeurs eux-mêmes, et le système des transferts, par exemple, qui est à l’origine de tous les dérèglements et de tous les excès, puisqu’il conduit même parfois à l’usage de la violence envers les joueurs pour qu’ils acceptent de casser ou de prolonger leur contrat contre leur propre volonté ? Comment peut-on imaginer, dans une autre activité que la nôtre, que des salariés attendent des mois pour toucher leur salaire, et parfois plus d’un an même, sans que l’on puisse sanctionner les employeurs, et sans que les joueurs puissent recouvrer naturellement leur liberté sans avoir à prouver qu’ils ne sont pas… coupables ? Dans quelle autre activité que le football – et sans risquer la moindre sanction ! – emploie-t-on un salarié sans un contrat de travail écrit, qui l’engage comme il engage son employeur au regard des droits et des devoirs de chacune des parties. Voilà qui est scandaleux et irresponsable, quand on pense que le métier de footballeur est un métier à risques ? Dans quelle autre activité, un salarié n’a-t-il pas le droit à des congés ? Comment imaginer que des joueurs, à notre époque, n’aient pas accès aux soins, même les plus élémentaires, appropriés à la pratique de leur métier ? Pourquoi accepte-t-on, dans notre sport, que des salariés soient mis à l’écart des autres, qu’on les prive, pour x raisons, de la capacité d’exercer le métier qui est le leur, simplement par calculs, pour de vils intérêts ?

Qui peut répondre à vos interrogations ?

Les instances, la Fifa en premier lieu, qui parle souvent d’unité, qui veut que les règles soient partout les mêmes, mais qui s’en tient à la périphérie.

C’est-à-dire ?

C’est bien que les lois du jeu soient identiques partout dans le monde, mais ce n’est pas cela le plus important. C’est bien d’agir pour l’harmonie des compétitions, mais il ne suffit pas qu’elles soient bien organisées, toujours plus populaires, qu’elles rapportent toujours plus d’argent. Ce n’est pas, en tous les cas, ce que demande, en priorité, la majorité des footballeurs dans le monde : eux veulent pouvoir vivre de leur métier correctement, nourrir leur famille, préparer leur avenir. J’ai entendu que, dans certains pays, les footballeurs demandent à leurs enfants de ne pas divulguer leur métier à leurs camarades de classe pour éviter les railleries, vous vous rendez compte de ce que cela signifie ?

Oui…

C’est insupportable ! Le football, comme je l’expliquais, est souvent hors-la-loi, mais il reprend l’évolution de la société : les riches sont toujours plus riches et les plus démunis continuent de s’appauvrir…

 

4 - copie

 

Vous parlez des joueurs ?

Par ricochet, forcément, et pour moins de 2% d’entre eux peut-être, mais cette évolution repose en réalité sur la richesse de quelques grands clubs dont l’appétit n’a pas de limite, et j’en veux pour preuve les changements promis au niveau des compétitions européennes de clubs. Toujours plus pour les uns, quelques-uns, toujours moins pour les autres. Tous les autres ! D’un côté quelques privilégiés, de l’autre la majorité qui souffre, qui vit au jour le jour. Alors bien sûr, en ma qualité de coprésident de l’UNFP, je me félicite de ce que nous avons bâti pour les joueurs évoluant en France depuis 55 ans, du statut qui est le leur, de la sûreté contractuelle dont nous pouvons être fiers comme de notre charte, véritable convention collective, et je pourrais tenir le même discours, ou presque, si j’étais à la tête de quatre ou cinq autres syndicats en Europe. Mais, et c’est en ce sens que l’enquête de la FIFPro prend toute sa signification, dans la majorité des autres pays où le football professionnel a droit de cité, en Afrique, aux Amériques et dans le reste de l’Europe (1), la situation des footballeurs va de mal en pis. Il faut être aveugle et sourd pour ne pas comprendre que la colère gronde partout, qu’il faut mettre un terme aux inégalités, aux abus, à cette fuite en avant ! C’est pourquoi les réformes, que nous appelons depuis si longtemps, sont non seulement nécessaires, mais sont seules garantes de la pérennité d’une profession, qui souffre chaque jour un peu plus. Il faut taper fort et taper vite ! La FIFPro n’est d’ailleurs pas la seule à s’en être rendue compte. De plus en plus de joueurs majeurs portent également nos revendications, c’est-à-dire celles du plus grand nombre. Il ne faut pas les croire enfermés dans leur tour d’ivoire, mais bien décidés à agir au contraire. Comme nous. Et je l’espère, comme tous ceux, à commencer par les instances, qui ont compris que cela ne pouvait plus durer ! »

Recueillis par Stéphane Saint-Raymond

(1) Les membres asiatiques de la FIFPro n’ont pas participé à cette enquête pour en avoir mené une identique, il y a deux ans, avec les mêmes… résultats !

 

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